Expulser de leur logement les trafiquants de drogue des quartiers sensibles: la «solution» proposée par Nicolas Sarkozy mercredi à Marseille, n’est pas nouvelle, et fait déjà partie de l’arsenal anti-drogue dans les cités.
-- Ce que Nicolas Sarkozy a dit
«Quand un trafiquant est pris sur le fait et convaincu de trafic, on doit lui retirer l’appartement où lui et sa famille vivent, organisent leur activité délictuelle et terrorisent l’ensemble de l’immeuble (...) Ce sont souvent des familles tentaculaires et quand ce n’est pas le frère, c’est l’autre», a affirmé le candidat à la présidence de l’UMP dans un entretien à La Provence.
-- Pourquoi ce n’est pas nouveau
«Nicolas Sarkozy invente le fil à couper le beurre», raille le président socialiste du conseil général de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, à ce titre également président de l’un des gros bailleurs sociaux de région parisienne, l’OPH 93. Les bailleurs sociaux du département «ont déjà engagé des procédures contre des familles» condamnées, rappelle-t-il.
En Seine-Saint-Denis, «à plusieurs reprises, le juge d’instance a prononcé l’expulsion de la personne ou de ses enfants pour trouble anormal de voisinage», soulignait début 2014 la procureure de la Seine-Saint-Denis Sylvie Moisson, citant des affaires à Saint-Ouen et Saint-Denis.
Si des trafiquants condamnés au pénal «ont utilisé l’appartement qu’ils louaient, y compris auprès d’un bailleur social, pour entreposer des produits, des armes, des matériels de découpe, de conditionnement, pour effectuer une activité de nourrice ou plus», le parquet transmet au bailleur social le jugement de condamnation pour qu’il «sollicite la résiliation du bail» devant la justice civile, détaillait-elle.
La procédure existe mais elle n’est «quasiment jamais appliquée», regrette toutefois Bruno Beschizza, le maire d’Aulnay-sous-Bois, un proche de Nicolas Sarkozy qui dénonce la «frilosité» de certains édiles. Lui-même n’a toutefois pas eu l’occasion de demander une telle expulsion depuis les municipales.
-- Quels résultats?
D’un point de vue policier, il n’y a pas photo : les quelques expulsions opérées chaque année dans des cités mettent «une pression très forte» sur les dealers et permet de «désenkyster le trafic», relève un enquêteur de terrain en Seine-Saint-Denis.
A Bobigny, deuxième tribunal de France, le parquet y voit «l’un des leviers pour faire reculer ou cantonner la délinquance». Selon Mme Moisson, les bailleurs sociaux «n’y voient que des avantages», puisque cela lui permet d’en finir avec des locataires contre lesquels «ils reçoivent de multiples plaintes».
-- Quelles limites?
Il ne s’agit pas de mettre à la rue toutes les personnes suspectées de trafic et leurs proches. «On est dans un Etat de droit, pour que les procédures puissent être menées, il faut des éléments suffisants», rappelle M. Troussel, qui constate que les demandes des bailleurs en justice «aboutissent rarement».
«Ce n’est pas parce que quelqu’un a été vaguement mis en cause dans une enquête que l’on va déclencher une expulsion, c’est parce qu’il a été condamné de manière définitive», selon Mme Moisson.
Sur le terrain, le sujet est sensible et controversé. En témoigne le jugement d’expulsion de trois familles de Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine, confirmé par la Cour d’appel de Versailles fin 2013.
Quatre enfants de ces familles modestes avaient été arrêtés en 2009 puis condamnés à des peines de prison pour leur implication dans un trafic de cannabis.
Une centaine de personnes ont organisé un rassemblement pour dénoncer une mesure d’expulsion «excessive» et une pétition, réunissant plus de 1.400 signatures, avait circulé. Finalement, pour ne pas que l’ensemble de ces familles se retrouve à la rue, la préfecture des Hauts-de-Seine a décidé de les reloger.
Source article: http://www.liberation.fr/ Photo : Boris Horvat. AFP.