Un long week-end de trois jours, rien de tel pour passer un peu de temps dans le jardin, retrouver un rapport direct avec les choses, toucher la terre, si précieuse comme dans le roman de Zola. Parfois je peste contre les mauvaises herbes, contre cette nature qui n'arrête jamais de pousser de tous les côtés, j'ai des envies soudaines de tout bétonner pour être tranquille une bonne fois pour toutes. Et puis évidemment l'activité physique, retourner la terre pour préparer le jardin, contracte les muscles et libère l'esprit. Une sorte de calme vous envahit, un apaisement intérieur, propice à laisser vagabonder les pensées et les petites réflexions...
En parcourant les lignes directrices du grand Paris qui se profile à l'horizon, une phrase a attiré mon attention : "il faut densifier la ville" annonce l'Elysée. Elle fait écho dans mon esprit à ce que j'ai pu entendre dans un certain nombre de réunions publiques d'Aulnay Sous Bois au cours desquelles la densification de la ville semble une perspective inéluctable. Ainsi, quel que soit le bord politique, la crise du logement actuel n'offre que peu d'alternatives à celle de construire massivement. Lors de la toute récente modification du P.L.U intervenue dans la ville on comprend assez rapidement que l'habitat collectif est considéré comme le moyen le plus rapide de loger les gens, quitte à empiéter sur les zones pavillonnaires et les espaces verts.
Avant de se lancer à tout va dans des programmes de construction, serait-il peut-être judicieux de se pencher d'abord sur la question des logements vacants. Il existe à Paris et sans doute ailleurs en île de France, une quantité insoupçonnée d'immeubles inoccupés, parfois depuis des années. D'un côté des logements vides, de l'autre des demandes de logements en attente et insatisfaites. Cette équation est un non sens mathématique et il est grand temps que l'on se penche sérieusement sur l'offre disponible de logements pour la rendre accessible à ceux qui en ont besoin.
Pour en revenir à la densification urbaine, il va sans dire que la construction de logements et l'afflux d'un surplus de population devra s'accompagner dans le même temps d'une offre accrue en terme d'équipements que cela soit en matière de transports ou d'éducation par exemple. Cette phrase semble être placée sous le sceau du bon sens. Pourtant il faut savoir qu'à Aulnay Sous Bois on déplore un problème d'anticipation quant à l'évolution démographique de la population aulnaysienne. Il semble que l'augmentation des naissances et l'évaluation du nombre d'enfants à scolariser soient des éléments qui n'ont pas été analysés à temps pour répondre aux besoins. A titre d'exemple, l'année dernière, 90 enfants du sud de la ville qui avaient 3 ans et donc en âge d'être scolarisés n'avaient pas de classe pour la rentrée.
La démographie c'est l'une des données à analyser pour construire mais également pour nourrir. Si l'on quitte un instant l'échelle aulnaysienne pour raisonner à celle de la planète, les études actuelles en matière démographique estiment que la population mondiale va fortement augmenter pendant la première moitié du 21éme siècle. En 2050, il s'agira de nourrir 9 milliards d'habitants. Avec moins d'eau, moins de terres et en affrontant les difficultés liées au réchauffement. Actuellement une véritable course aux terres cultivables est engagée. Les pays riches ne disposant pas de suffisamment de terres agricoles ont la tentation d'acheter des corridors de production dans les pays du Sud. La Chine, le Japon et les pays producteurs de pétrole ont déjà commencé dans le but de garantir leurs approvisionnements alimentaires futurs.
Comment ces pays procèdent-ils pour acquérir d'immenses domaines dans le monde entier ? Le ministère de l'agriculture japonais dispose d'une agence chargée de ce type d'opération. Une fois l'accord passé avec les gouvernements concernés, des sociétés privées sont chargées de conduire l'opération. La production est ensuite exportée au Japon. Ce pays dispose ainsi de 300000 hectares au Brésil. La Chine procède de la même manière. Elle est présente en Zambie. Que dit-elle aux pays africains ? Nous vous apportons notre technologie. Vous nous laissez vos hectares. Ce sont des agriculteurs chinois qui viendront exploiter ces terres car ils sont trop nombreux chez nous.
Même des groupes privés tentent leur chance, ayant bien compris que qui contrôlera les terres contrôlera forcement l'alimentation et donc une source de profits futurs. L'exemple récent le plus célèbre demeure celui de la société sud-coréenne Daewoo qui prévoyait de racheter 1,3 million d'hectares de terres à Madagascar, soit l'équivalent de la moitié des terres arables de l'île, pour une durée de 99ans. Même si au final l'opération a échoué, ces méthodes ne sont plus des cas isolés. Ces pratiques, ce type d'accords entre Etats, le tout conjugué avec des pays tentés par cesser d'exporter leurs matières premières agricoles pour garantir leurs propres besoins intérieurs risquent de déboucher à terme sur des situations explosives.
Evidemment, on peut se bercer d'illusions en pensant que les difficultés n'arriveront que plus tard. Il n'empêche qu'il est grand temps de revaloriser l'agriculture et la recherche avant qu'il ne soit trop tard et en faire un sujet de gouvernance mondiale. Sinon nous nous exposons à la menace d'un choc alimentaire mondial massif. Je songe soudain que j'ai plutôt intérêt à conserver mon jardin pour y cultiver éventuellement quelques denrées alimentaires. Je le fais déjà pour retrouver un peu de saveur dans mon assiette, lassé que je suis des tomates et des fraises formatées qui ne poussent même plus dans la terre quelque part dans une serre d'Almeria et qui n'ont aucun goût. Si manger dans le futur se limite à remplir les estomacs pour calmer la faim, voilà une perspective peu réjouissante. Qui décidera et qui dessinera l'avenir alimentaire ? Les Etats, les groupes industriels, le Programme Alimentaire Mondial, le Fonds international de développement agricole ? Y'aura-t-il une place pour le citoyen du monde d'être entendu pour peser sur les choix de vie de demain ? Ce dernier aspect me fait d'ailleurs penser à une phrase de commentaire de Marc Fretter sur Monaulnay.com et du coup revenir à l'échelle Aulnaysienne.
En parlant des décideurs politiques Marc écrit : " A un moment donné, vous allez être obligé de trancher car si vous capitulez devant une association de riverains, vous n'êtes pas prêt de construire de logements !". Même si je comprends le sens de cette phrase, je ne partage pas ce qu'elle induit : 1) que les décideurs politiques sont forcement les mieux placés pour définir ce qui est bon pour un quartier 2) l'action des riverains est de toute manière vouée à l'échec puisqu'au bout du compte c'est le politique qui prend la décision finale.
Heureusement que les choses sont plus nuancées et qu'une action citoyenne peut influer d'une manière ou d'une autre sur une décision politique ou économique. Sinon, et là je déplace la problématique sur le terrain de l'économie, le patron d'une grande entreprise pourrait réduire ses effectifs ou délocaliser tranquillement pour augmenter ses marges et les dividendes de ses actionnaires sans que les salariés ne réagissent. Les salariés devraient-ils se résigner en pensant de toute façon c'est le patron qui décide ?
Le pouvoir du citoyen doit s'exercer au delà du simple fait de glisser un bulletin de vote à l'échéance prévue. En mobilisant pour faire entendre sa voix dés que cela semble nécessaire. J'y reviens encore mais c'est un bel exemple, celui de la rue des Saules en est une illustration manifeste. Il nous a paru légitime de réunir tous les riverains et devant notre unanimité face à un projet de la Municipalité nous avons rassemblé les énergies pour être entendus et engager un dialogue avec les élus. Cette voie est enfin ouverte. Elle est une preuve que les citoyens ne doivent pas baisser les bras, qu'ils peuvent encore être acteurs et moteurs de leur ville, et que défendre une cause est encore possible.
La tondeuse de mon voisin me sort soudain de ma rêverie. Alors tel Candide, je retourne cultiver mon jardin...
J'en profite au passage pour suggérer quelques pistes :
Le livre de Jean-Yves Carfantan : Le Choc Alimentaire Mondial. (Albin Michel, 293pages, 19Euros).
Jean-Yves Carfantan est économiste. Il enseigne aussi à l'ESA (Ecole supérieure d'agriculture d'Angers) et travaille comme consultant sur l'évolution des marchés internationaux. Il est actuellement installé à Sao-Paulo au Brésil, pays qui est appelé à être l'un des grands pays agricoles du 21éme siècle puisqu'il dispose de 100 millions d'hectares de bonnes terres.
Le documentaire d'Erwin Wagenhofer : We feed the world. Le marché de la faim.
Un panorama plutôt exhaustif sur les circuits alimentaires et donc sur ce qui atterrit dans notre assiette : la pêche industrielle, les serres d'Almeria, les poulets en batterie, entre autres. Mais aussi, le gâchis des denrées alimentaires (des tonnes de pain qui partent à la poubelle) et comment on incite insidieusement les agriculteurs roumains a renoncé à leurs méthodes traditionnelles pour les tourner vers des semences industrielles. (voir l'exemple de l'aubergine bien brillante, bien lisse, et élaborée en laboratoire pour attirer l'oeil du consommateur... Evidemment elle a un goût aseptisé par rapport à celle produite à l'ancienne).
Et enfin un film. Soylent Green ( Soleil Vert) de Richard Fleischer.
Tourné en 1973, ce long métrage reste d'actualité et peut-être qualifié d'anticipation. Il décrit un monde où l'industrie a pris le pas sur la nature, un monde surpeuplé où l'approvisionnement de la majorité de la population est assuré par une seule et unique compagnie, la Soylent Corporation. Les rites des repas et les saveurs de la nourriture ont quasiment disparus. Je n'en dévoile pas plus sur l'intrigue, mais je recommande chaudement ce film, qui peut ouvrir les yeux sur ce que le monde pourrait devenir à terme, si nous les citoyens, n'y prêtons pas attention.
Rédigé par Stéphane Fleury le Mardi 11 Mai 2009 à 10Heures59.