Vous avez dit mixité sociale ?
A l’heure où l’on parle beaucoup de mixité sociale, il m’a paru intéressant d’essayer de comprendre ce que pouvait recouvrir cette notion.
On observera tout d’abord que celle-ci a largement existé en pratique à travers les siècles, que ce soit dans les villages, les faubourgs, les villes de province ou même dans certains quartiers de Paris ou de banlieue.
Question de dosage, d’équilibre et d’éducation. Sentiment d’appartenir à un espace commun, à une culture ou une histoire commune, au-delà des différences sociales. Sentiment aussi d’être unis à un destin commun. Sentiment de partage de valeurs communes telles que la liberté, l’égalité ou la fraternité.
Mais à condition aussi de donner à ces mots le sens qui leur revient. Liberté et non licence. Egalité et non égalitarisme. Fraternité et non repli communautaire.
Laïcité également de sorte que les options religieuses ou spirituelles de chacun n’interfèrent pas sur la vie de la cité. Mais aussi respect des croyances de chacun à condition qu’elles ne s’accompagnent ni d’intolérance ni de prosélytisme.
Mixité sociale donc. Alors pourquoi cela semble-t-il, en pratique, parfois si difficile ?
I. Les premiers éléments de réflexion me paraissent d’ordre psychologique, sociologique ou culturel.
Ami ou ennemi ? C’est, au fond la première question qu’inconsciemment la plupart des gens se posent en présence de l’autre. Peur primaire, legs de la période animale ; peur basique liée à la rareté de l’espace ou des ressources ; peur enfouie liée aux guerres anciennes. Il faut donc dépasser toutes ces peurs, pour pouvoir accueillir l’autre et dépasser cette dualité. Encore faut-il que cet « autre » ne constitue pas une menace réelle ou supposée, qu’il n’ait pas la prétention d’imposer sa loi, qu’il respecte la civilité élémentaire qui sied à l’établissement de relations de bon aloi : politesse, respect et considération de l’autre.
Or l’expérience prouve, quels que soient les milieux considérés, que cela ne va pas forcément de soi. Cela suppose souvent un certain type d’éducation et de conception de la relation à l’autre : ouvert mais exigeant. C’est une affaire de cœur mais aussi de raison et de langage. C’est une affaire d’équilibre mais aussi de tact et de discrétion.
Or, toute notre « civilisation » est le plus souvent orientée vers une rivalité mimétique qui déclenche envie, jalousie, colère, frustration, déni de l’autre, hypocrisie, etc. Comment donc faire en sorte que ces univers intérieurs ne viennent pas perturber la vie en société ? C’est là toute la question.
Seuls un effort patient de chacun et une prise de conscience salutaire peuvent prévenir l’occurrence de phénomènes de crainte ou de non considération réciproques. Seul un socle minimum et commun de valeurs partagées peut créer les conditions d’une mixité sociale réussie.
Mais, est-ce toujours le cas ?
Prenons l’exemple de gens qui se lèvent tôt, pour aller travailler et qui seraient dérangés dans leur sommeil par d’autres qui feraient du bruit et que l’on entendrait à travers une cloison trop mince ou des fenêtres donnant sur la rue.
Prenons l’exemple de jeunes adolescents qui ne trouvent pas mieux que de faire pétarader des motos ou des scooters, dans des quartiers tranquilles.
Prenons l’exemple de gens qui ne cherchent pas de travail, vivent d’expédients, d’assistance ou de combines diverses et qui paradent au pied de leurs immeubles.
Prenons l’exemple de familles complètement dépassées qui ont mis des enfants au monde mais n’ont aucune autorité sur leurs progénitures, les laissant faire à peu près n’importe quoi.
Prenons l’exemple de gens qui, ayant soif de revanche par rapport à des passés difficiles, considèreraient qu’ils auraient subitement tous les droits.
Prenons l’exemple de gens qui jettent leurs mégots par terre, crachent au sol ou se déplacent en bande, en cachant soigneusement leurs visages avec des capuches ou en s’exprimant de façon vulgaire ou agressive.
Bien évidemment ce type de comportement n’est pas majoritaire. Mais malheureusement cela existe aussi et il ne sert à rien de se voiler la face.
Il s’agit là de choses que tout le monde peut vérifier mais que l’on ne peut pas dire ou écrire facilement par peur d’être taxé de « politiquement incorrect ».
Mais à force de ne pas dire les choses, une certaine forme de délitement de la société se poursuit, la « souffrance sociale ou civique » s’accroît, à tel point que certains en viennent même à plébisciter, parfois, les orientations « les plus à droite » sur l’échiquier politique. Ce réflexe d’ordre et d’autorité s’empare alors de gens qui, excédés par des incivilités, des largesses, des abus, des excès en tout genre en viennent à souhaiter la mise en œuvre de solutions, dont ils ne mesurent pas forcément toutes les conséquences.
Mais, il est trop facile de balayer de tels réflexes d’un revers de la main, et tout particulièrement lorsqu’ils viennent des milieux dits « populaires ». Il ne s’agit pas de souscrire, mais il s’agit d’entendre. « Vrais problèmes, mais fausses solutions » ont pu dire alors quelques hommes politiques en vue ! Mais, à ne retenir que la deuxième partie de la phrase, on en oublie parfois la première qui, elle, reste bien prégnante.
C’est en ayant à l’esprit ce type de contexte qu’il faut aborder cette fameuse question de la mixité sociale en espérant, peut-être ainsi, dissiper quelques malentendus.
Je me permets donc de livrer ici quelques réflexions :
1. Le repli « communautaire » quel qu’il soit est l’ennemi d’une véritable mixité sociale. Si l’on recrée des mini « ghettos » au sein d’un immeuble, on ne fait que déplacer le problème sans véritablement le résoudre.
2. J’aime bien les mots de métissage, de rencontre des cultures et de diversité. Il s’en suit un mélange et un enrichissement réciproques et une ouverture sur les autres. Mais cela ne peut fonctionner dans un seul sens. Cela suppose donc d’abandonner des préjugés ayant souvent la vie dure, et ce d’où qu’ils viennent.
3. Les civilisations non occidentales ont leur propre richesse dont il faut souligner leurs apports nombreux en matière architecturale, artistique, philosophique, culturelle, etc.
4. Mais, il faut aussi faire respecter un des apports essentiels de notre civilisation : celui de la déclaration universelle des Droits de l’homme et du citoyen sur laquelle reposent toutes les valeurs fondamentales de notre société.
5. Il faut s’efforcer de mettre en valeur tout ce qu’il peut y avoir de positif dans chaque culture mais aussi aller à la rencontre de l’autre et donc écarter tout ce qui irait dans un sens opposé : repli sur soi, soumission à une « tradition », prosélytisme, attitude clanique ou sectaire, etc.
6. L’instruction, l’éducation et le respect sont les passeports obligés d’une véritable mixité sociale. Ce n’est pas seulement une question de conditions sociales ou de moyens financiers, c’est aussi une affaire d’effort, de conscience et de responsabilité.
7. Chacun doit respecter et même s’approprier l’histoire, la culture et les valeurs fondamentales du pays dans lequel il vit.
8. La liberté de pensée et d’expression, l’esprit critique au sens noble du terme représentent des valeurs fondamentales de notre société et, à ce titre, doivent être respectées. Cet acquis de notre démocratie permet de critiquer librement toutes les traditions d’où qu’elles viennent.
9. Tout réflexe « identitaire » particulier doit être replacé dans un contexte plus large intégrant le sentiment d’appartenance à la communauté humaine, quelles que soient les particularités des uns et des autres.
Tous ces éléments d’ordre psychologique, sociologique ou culturel jouent donc un grand rôle dans le cadre de la mise en œuvre d’une véritable politique de mixité sociale. Il faut bien les reconnaître et les identifier si l’on veut tenter de dissiper bien des incompréhensions ou des malentendus.
II. Les deuxièmes éléments de réflexion me paraissent d’ordre économique et financier.
La question fondamentale est ici celle de l’économie de marché, celle d’une certaine forme d’équité mais aussi d’une certaine aspiration à l’égalité.
On peut considérer que l’économie de marché est profondément injuste, dans la mesure où elle peut refléter des inégalités de naissance, de formation ou de talent. Mais jusqu’à présent on n’a pas trouvé mieux pour assurer le dynamisme économique et l’enrichissement d’une société. Il en résulte donc des mécanismes d’inégalité que la société peut alors, et même doit s’efforcer de réduire grâce à des mécanismes de redistribution. Mais la question est alors de savoir jusqu’à quel point cela est, non seulement souhaitable, mais possible.
Or, cet effort n’est pas mince dans la mesure où le taux de prélèvement obligatoire qui pèse sur la production, les services et les échanges avoisine dans notre pays les 50 %. Jusqu’ où alors est-il possible d’opérer cette redistribution sans pour autant décourager l’effort, le travail et l’épargne nécessaires au fonctionnement de l’économie. Et ce, au nom d’une certaine idée de l’équité et de la proportion entre ce qui doit revenir à chacun en fonction de son mérite et ce qui peut être redistribué.
Tout cela pose donc la question politique fondamentale des rapports entre l’autonomie d’une part et le partage d’autre part.
Ces deux valeurs sont parfaitement respectables. Elles se complètent à merveille lorsque la force de la première peut nourrir une forme de solidarité notamment envers les « plus défavorisés ». Ce mécanisme de redistribution s’appelle l’impôt. Mais tout est alors une question de dosage : ne dit-on pas, avec juste raison, que trop d’impôt tue l’impôt !
Nous pouvons ainsi avoir des personnes qui ayant travaillé toute leur vie, ont toujours payé des impôts, n’ont jamais reçu de faveur particulière de l’Etat, du département ou de la commune, et ont payé leurs loyers ou acquis leur logement aux conditions du marché.
De l’autre, nous pouvons avoir des personnes ne payant pas d’impôt sur le revenu, recevant des allocations familiales, logement, ou chômage, des prestations sociales, des aides d’une commune ou d’un comité d’entreprise, etc.
Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres. Il s’agit de comprendre l’hétérogénéité d’une société et donc de préciser aussi les aspects économiques et financiers préalables à toute politique sociale.
Le premier point qu’il faut avoir présent à l’esprit est tout d’abord l’ampleur du déficit de l’Etat.
On peut penser qu’une autre politique fiscale pourrait être menée en augmentant les taux des prélèvements déjà très élevésmais on ne peut pas faire comme si ce déficit n’existait pas. Or sa résorption implique une réduction des dépenses ou /et une augmentation des recettes comprises selon les hypothèses entre 5 et 10% du P.I.B. La mince affaire ! Quoi que disent les uns ou les autres, toute politique en matière sociale est forcément dépendante des marges de manœuvre économiques et financières. Or celles-ci ne sont pas extensibles à souhait, n’en déplaise aux politiciens qui promettent monts et merveilles sans bien chiffrer le coût de ces merveilles !
Le deuxième point qu’il faut souligner c’est de savoir de quelle façon on peut combiner de façon équitable l’effort privé en matière de logement et l’effort social.
Car, fort heureusement il est loin le temps où les logements sociaux étaient de qualité très inférieure à ceux relevant du secteur privé. Dés lors se pose la question de la logique respective des mécanismes de financement des uns et des autres et donc le coût pour la collectivité que représente le financement du logement social. Là aussi question de choix politique et de dosage financier.
Le troisième point qu’il faut aborder est celui des modalités d’attribution des logements et des conditions d’équité d’une telle attribution. Il faut à la fois respecter des ratios de solvabilité et tenir compte des besoins de chacun. Dés lors, une telle attribution peut obéir à des critères contradictoires qu’il s’agit d’arbitrer. De plus, l’aspect financier du coût de la construction n’est pas sans incidence sur le montant des loyers exigibles, d’autant que les enveloppes financières de l’aide à la construction ne sont pas extensibles à l’infini.
Ainsi, une politique en faveur du logement social n’est pas neutre ni du point de vue financier, ni du point de vue budgétaire, ni du point de vue fiscal. Quel que soit le caractère louable de son intention, elle se heurte, par définition, à des limites financières objectives, à des risques de « favoritisme » au moment des attributions et à des conditions de redistribution qui doivent aussi respecter le souci d’équité dû à chaque citoyen.
Il ne sert à rien d’ignorer ces multiples contraintes faute de quoi, on risque de délivrer des fausses promesses qui n’entraîneraient alors que des désillusions.
Que penser donc de tout cela ?
Les objectifs de mixité sociale sont donc parfaitement louables. Mais il ne sert à rien d’ignorer les conditions de possibilité d’une telle mixité :
1. Lorsqu’elle passe par des mécanismes de redistribution, toute politique sociale est forcément dépendante des réalités économiques et financières qui pèsent sur elle.
2. Les tissus urbains ont leur propre histoire que l’on peut faire évoluer mais à condition de respecter ce qui a fait leur identité construite patiemment au fil des temps.
3. La mixité sociale n’est pas un phénomène qui peut se décréter d’en haut de façon autoritaire. C’est un processus patient qui doit tenir compte de l’équilibre subtil d’un territoire et de sa population.
4. La mixité sociale doit reposer sur des valeurs communes : respect de soi, des autres, et donc aussi de nos différences. Mais elle ne peut s’édifier qu’à travers un socle commun hérité de notre passé, de notre histoire, de nos traditions, de notre culture, sans oublier bien sûr une certaine idée de ce que doit être notre avenir commun.
Veritis.