Dans cette ville de 81 000 habitants, en Seine-Saint-Denis, le candidat UMP a obtenu 41,3 % des suffrages au premier tour.
Il sourit avec gourmandise, serre les mains à tour de bras, tapote sur ce qu'il faut d'épaules, donne du " salut chef ! " à chaque étal, et sert le tout avec sa gouaille charmeuse d'ancien " flic " syndicaliste. En retour, commerçants et chalands l'apostrophent par son prénom, comme s'il arpentait le marché depuis des lustres. C'est sa fierté.
Ce jeudi matin, le soleil brille au-dessus d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et le baromètre personnel de Bruno Beschizza est au beau fixe. " On peut passer à 54 % ", pronostique-t-il. " Quand j'ai été parachuté ici, il y a moins d'un an, je savais qu'il ne fallait surtout pas que je sois le gars de l'UMP. Il fallait que je sois “Bruno”. "
C'est pourtant bien rue de Vaugirard, à Paris, au siège du parti, qu'a été lancée il y a un an et demi l'" opération Beschizza ", pour partir à la reconquête d'Aulnay-sous-Bois, perdue par la droite en 2008. Les stratèges de l'UMP, en se penchant sur la carte électorale de l'Ile-de-France, n'ont pas eu besoin de réfléchir longtemps pour cocher la troisième ville de Seine-Saint-Denis (81 000 habitants) parmi leurs objectifs prioritaires.
Dans la marmite aulnaysienne, ils ont vu foison d'ingrédients qui étaient autant de raisons d'espérer : un édile socialiste vieillissant (65 ans), Gérard Ségura, en conflit avec les écologistes de sa majorité ; une ville bercée par la triste complainte de la fermeture de l'usine PSA, symbole d'une certaine impuissance gouvernementale ; et une sociologie potentiellement sensible à un air du temps, où il ne fait pas bon être socialiste.
Aulnay-sous-Bois est un cas d'école de ville coupée en deux. Au sud, de coquets pavillons accueillent une petite bourgeoisie aisée, plutôt à droite, sensible aux sirènes des discours sur l'" insécurité ". Dans le nord, les grands ensembles d'immeubles, célèbres depuis les émeutes de 2005, sont à l'inverse une terre de gauche. Quand les électeurs se rendent aux urnes.
Nord contre sud, sud contre nord : en 2008, le match était équilibré. M. Segura s'est imposé d'une courte tête, avec 50,43 % des voix. Quatre ans plus tard, en 2012, Aulnay a plébiscité François Hollande (62,7 %). Mais ce 23 mars, lors du premier tour, la balance s'est renversée. Brutalement.
Aulnay la pavillonnaire s'est mobilisée. Aulnay la populaire, elle, a boudé. M. Beschizza en a profité pour virer en tête (41,29 % des suffrages), très loin devant M. Segura (26,66 %). Jusqu'à faire désormais figure de grand favori. C'est en janvier 2013, pour le candidat de l'UMP, que l'aventure a commencé. " Je n'ai rien demandé. J'ai été convoqué par Jean-François Copé et Valérie Pécresse. Ils m'ont dit : “tu as le bon profil pour t'implanter à Aulnay-sous-Bois”. " Il y est allé.
Son profil ? Celui d'un ancien secrétaire général de Synergie, l'un des deux principaux syndicats d'officiers de police, marqué à droite. " Je n'ai même pas besoin d'en parler, il y a écrit sécurité sur mon front ", s'amuse-t-il. Celui, aussi, d'un enfant du " 9-3 ", à défaut d'être d'Aulnay-sous-Bois.
" Mon père est italien. Il est arrivé à Paris, s'est installé chez des marchands de sommeil. Il a rencontré une petite Française. Ils ont déménagé en Seine-Saint-Denis, à Montreuil, pour avoir les toilettes et la salle de bain. Le parcours classique, quoi… ", raconte-t-il.
Durant l'été 2013, M. Beschizza a quitté son domicile de la ville voisine de Rosny, avec sa femme et ses cinq enfants, pour filer s'installer à Aulnay-sous-Bois. " J'emmène mes enfants à l'école tous les jours. C'est aussi ça, faire campagne. En cette période de crise, les gens ont besoin de contact, qu'on leur fasse la bise ", théorise-t-il.
Et de lister les raisons, selon lui, de son succès : " Les gens veulent entendre des mots simples : entreprise, famille, insécurité. Contrairement à ce qu'on imagine, ici, ils sont obnubilés par la réussite scolaire de leurs enfants. Ils ont peur de la réforme des rythmes scolaires et de la théorie du genre. "
Avant d'être un " bébé Copé ", M. Beschizza a surtout été un " bébé Sarkozy ". C'est l'ex-président de la République, qu'il avait côtoyé dans ses fonctions précédentes de ministre de l'intérieur, qui l'a poussé à entrer en politique en 2010, lors des élections régionales, avec la Seine-Saint-Denis pour terrain de jeu. Il lui a octroyé au passage un avantageux statut de sous-préfet hors cadre. Ses débuts, en dépit de ce parrainage, ont été un rude apprentissage. Eric Raoult, le vieux baron UMP du Raincy, attendait au tournant ce concurrent adoubé par le " Château ". Jean-Christophe Lagarde, le maire UDI de Drancy, a aussi sorti les dents.
S'il s'impose à Aulnay-sous-Bois, M. Beschizza peut devenir, de fait, le fer de lance de l'UMP dans ce département de mission. Avec un profil qui permet de ratisser large, de la droite " classique " à l'électorat du FN, dont l'appareil est à la peine en Seine-Saint-Denis.
Dans son bureau de la mairie, M. Segura, son adversaire socialiste, veut cependant croire que la messe n'est pas dite. " Au premier tour, son électorat était très mobilisé. Il faut qu'on mobilise le nôtre. "
Le combat, à quelques jours du vote, se joue dans les quartiers nord. M. Segura attaque le profil " droite dure " de son adversaire. " Il n'y a plus eu à Aulnay d'explosion sociale depuis 2007. On a apaisé la ville. Il la clive ", poursuit-il, en guise d'avertissement. En attendant, en coulisses, les deux camps s'accusent d'achats de voix.
Source : Le Monde