Après quatre mois de grève, le site Peugeot-Citroën va fermer. Daniel raconte son dernier combat et son nouveau départ.
Comment résumer la carrière de Daniel Vernet, 58 ans, dont trente-cinq passés à l’usine PSA Peugeot-Citroën d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis ? Par les rapports élogieux de ses supérieurs : « collaborateur sérieux », « pas avare de son temps de travail » ? Ou par son bulletin de santé : arthrose, douleurs articulaires, rétention d’eau ? Les maux de l’âge, sans doute. Mais le technicien aux cheveux gris y voit aussi le résultat des milliers d’heures sup effectuées pendant toutes ces années : « Alors que j’avais fini ma journée, j’escaladais encore des palettes chargées de moteurs pour les vérifier. » Et des mois de stress, depuis l’annonce de la fermeture de l’usine. C’était il y a presque un an, le 12 juillet 2012.
Daniel est entré dans cette usine d’Aulnay en 1978, à l’âge de 23 ans. Les ateliers avaient ouvert en 1973 et sentaient bon le neuf. Trente-cinq ans plus tard, Daniel va s’en aller. Et le site ne lui survivra pas. Autour de lui, c’est l’heure des choix. Validé fin avril, le plan social se met lentement en place. Certains s’y sont préparés, d’autres sont encore perdus. Sur les 2 550 salariés rattachés à Aulnay, 1 300 doivent être mutés sur d’autres sites du groupe. PSA s’est engagé à proposer des solutions à tous les autres : des emplois dans le cadre de la réindustrialisation du site ou auprès d’entreprises partenaires, des formations, des aides à la création d’entreprise… Daniel, lui, fait partie des « seniors ». Il pourra partir avec une indemnité, et continuer à toucher la totalité puis une partie de son salaire jusqu’à la retraite, en 2015. Il n’est donc pas le plus mal loti, mais la blessure est ailleurs. Lui qui a passé sa vie à traquer les défauts dans les entrailles des moteurs enrage de voir disparaître la grande et belle mécanique d’Aulnay.
« Une histoire incroyable »
Parlez-lui de moteurs : une étincelle apparaît dans son œil clair. « J’ai toujours voulu être mécano. Déjà petit, je démontais tout. » Un souvenir surgit : un moteur Honda qu’il répare à l’âge de 13 ans, employé au noir dans un garage de Montreuil. « Ma première panne », raconte-t-il comme certains parlent de leurs premières amours. Avec PSA aussi, la relation sera passionnelle. Tout jeune papa, Daniel parvient à mettre le pied dans « l’usine qui était alors la plus moderne d’Europe », grâce au parrainage d’un voisin. Le petit mécano a soif d’apprendre : un retoucheur marocain lui enseigne les secrets des faisceaux électriques. Puis la direction lui accorde une faveur exceptionnelle : des horaires adaptés, pour suivre des cours du soir.
En 1982, tandis qu’une grève paralyse l’usine, Daniel bûche son brevet professionnel, regardant d’un œil désapprobateur les violences qui émaillent le mouvement. « Un ami s’est fait casser la figure par des grévistes. J’en ai longtemps voulu à la CGT. » En onze ans, Daniel obtient son bac, plusieurs brevets de technicien et un BTS. « Une histoire incroyable », souffle une collègue, admirative. Daniel voue alors une reconnaissance infinie à l’entreprise, où il fait entrer quelques-uns de ses dix frères et sœurs. « La direction m’avait vraiment soutenu. La moindre des choses, c’était de lui rendre la pareille, en répondant présent dès qu’elle avait besoin de moi », raconte-t-il. Produire, et transmettre à son tour.
De 1998 à 2000, il forme les jeunes élèves de l’Ecole technique privée Citroën à Saint-Ouen : « 100 % de réussite au bac pro la première année, 100 % avec mention la deuxième », énonce-t-il avec fierté. « On voyait qu’il était passionné et qu’il avait le souci de transmettre», se souvient l’un de ses anciens élèves, Eric Willig, aujourd’hui informaticien sur le site de Peugeot-Citroën à Poissy (Yvelines). Et puis, la mécanique PSA s’enraye, et Daniel perd confiance. Quand la CGT divulgue en 2011 une note confidentielle prévoyant la fermeture de l’usine d’Aulnay, il se forge vite une conviction. La production a diminué, les effectifs aussi.
La première manif de sa vie
Pour la première fois de sa vie, Daniel manifeste, hurlant à pleins poumons qu’il faut « un nouveau projet » de voiture pour Aulnay. Lui a surtout éprouvé de la colère. « On nous disait : ‘‘Ce n’est pas d’actualité.’’ Et un jour, on nous a dit : ‘‘C’est trop tard.’’ » Le 12 juillet 2012, des collègues « ont tourné de l’œil en apprenant la fermeture ». Dans les bureaux du service qualité, où il travaillait, Daniel tente de convaincre les cadres de porter un brassard noir, « pour protester symboliquement ». Quand la grève débute en janvier 2013, il y participe quelque temps. « Elle était plus que justifiée. Au début, 80 % des gens soutenaient le mouvement. »
A présent, Daniel compte les jours, dans une usine qui tourne au ralenti, malgré la fin de la grève. Pour tromper l’ennui, il cherche « des moteurs à réparer », comme autrefois. Il se souvient de ces ingénieurs de l’usine chinoise de Wuhan, venus en stage dans les années 1990 à Aulnay : « Ils se battaient pour résoudre un problème que j’avais posé au tableau. J’ai vite compris qu’ils seraient des adversaires redoutables. »
Source : Le Parisien