Le Billet de Veritis : une grande dame s’est éteinte…
Publié le 22 Décembre 2010
Une grande dame s’est éteinte…
Jacqueline de Romilly, académicienne et grande helléniste est morte à l’âge de 97 ans.
Première femme lauréate au Concours général (1930), première femme professeur au Collège de France (1973), première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1975), deuxième femme élue à l’Académie française (1988) après M. Yourcenar, J. de Romilly s’est affirmée au fil des ans comme la meilleure représentante de l’hellénisme classique.
Après Jean-Pierre Vernant, autre figure de l’hellénisme et ancien résistant, c’est donc un peu de notre histoire qui disparaît : celle des Belles-Lettres, celle de la Grèce classique.
« Les grands textes grecs, confiait J. de Romilly, nous placent à la source de notre culture. En les lisant, on voit se former la pensée rationnelle, la raison et plus encore la réflexion, la pensée critique, l’art de penser, la pensée elle-même. On voit naître la lumière et l’universel. » Pour elle, la culture classique était une école de liberté : par les Anciens, rappelait-elle, on apprend à s’exprimer, à manier les outils intellectuels, à maîtriser la confusion, à vaincre l’obscurité.
Je ne résiste donc pas au plaisir de partager avec les lecteurs d’Aulnaylibre quelques extraits de l’épilogue de son dernier ouvrage qu’elle fit paraître aux Ed. de Fallois (2010) sous le titre « La Grandeur de l’homme au siècle de Périclès » :
« Il est temps de l’avouer, je suis très vieille, âgée de plus de 95 ans, et j’ai vécu au contact de ces auteurs grecs pendant au moins quatre-vingt ans ; et je dois dire, moi, à mon tour, l’espèce de force et de lumière, l’espèce de confiance et d’espérance que j’en ai toujours retirée. J’ai transmis la beauté de ces textes, et je suis sensible, à la fin de ma vie, au fait que beaucoup de mes élèves d’alors, tant d’années après, s’en souviennent et en ont tiré quelque enthousiasme. »
« Mais je dois dire aussi, naturellement, qu’il m’est cruel de voir aujourd’hui se répandre une tendance à s’en désintéresser ; cela est surtout grave parce que nous vivons une époque d’inquiétude, de tournants, de crise économique et - par suite – de crise morale. Il me paraît qu’aucune époque n’a eu davantage besoin de notre littérature grecque ancienne, du talent qu’ont eu les auteurs pour exprimer ces idées, pour nous offrir cet exemple de réussite, et pour s’émouvoir de diverses façons de toutes les merveilles que représente l’existence humaine, en dépit des difficultés et des désastres. »
On peut difficilement dire mieux tout ce que l’on doit à ces racines de notre civilisation. Athènes, berceau de la pensée philosophique occidentale. Athènes, berceau de la démocratie, sous toutes ses formes : représentative ou participative.
Alors on se prend à rêver de voir Socrate déambuler dans les rues d’Aulnay-sous-Bois, s’inviter aux réunions du Conseil municipal ou des Conseils de quartier ou de l’Agenda 21. De voir Socrate se moquer des sophistes qui se délectant de leurs proclamations tonitruantes, sont prêts à enfourcher n’importe quelle rhétorique dans le seul but de se faire élire.
A vrai dire, de ce point de vue, les choses ont peu changé depuis 2 500 ans. Et c’est bien pourquoi, la lecture des textes anciens est incroyablement rafraichissante et d’une parfaite actualité. Tout cela entraine donc, non point un manque d’intérêt envers la Res publica , mais assurément une plus grande capacité de compréhension et d’analyse de la chose publique. Et, en tous cas, plus de lucidité.
Que l’esprit vivifiant de la Grèce Ancienne nous accompagne donc lors des prochaines échéances électorales !
Veritis.