On l’avait aperçu à plusieurs reprises, dans les manifestations des grévistes, aux portes de l’usine d’Aulnay… Sylvain Pattieu, maître de conférence à la fac d’histoire Paris VIII de Saint-Denis, a « cheminé », durant de longs mois, avec les ouvriers de PSA. Noircissant un carnet de notes, au gré des anecdotes et confidences des uns et des autres. Alors que la dernière Citroën C3 sortira vendredi de la ligne de montage, le jeune enseignant de 34 ans, auteur de plusieurs essais historiques et romans, vient de publier « Avant de disparaître ».
Le livre, qu’il nomme « documentaire littéraire », dévoile ces témoignages recueillis par fragments. Une vingtaine de salariés y content par petits bouts l’annonce de la fermeture, l’incertitude du lendemain, l’usine à l’arrêt, mais aussi leur attachement au métier, leur usure, les relations avec les chefs… « Des fragments de vie, de travail, de loisir », glisse Sylvain Pattieu. Une employée du ferrage parle de moto, un ouvrier évoque Dostoïevski, un syndicaliste dit sa « fierté » d’avoir « gardé la tête haute ».
« C’est un livre qui montre le monde ouvrier d’aujourd’hui », indique Sylvain Pattieu. Il avait commencé à fréquenter l’usine à l’automne 2012, soit quelques mois après l’annonce de sa fermeture. Il a mis un point final à son ouvrage en mai dernier, avec la fin de la grève (conduite par la CGT, et décriée par la direction de PSA et certains responsables syndicaux). « Au début, avec mon petit carnet, certains m’ont pris pour un flic », se souvient-il avec amusement. Le début de la grève, en janvier, lui a permis d’entrer dans l’usine, de se rapprocher de certains salariés.
L’auteur assume un regard subjectif. Même s’il a pris soin de recueillir le point de vue de non-grévistes et d’ouvriers non-syndiqués, Sylvain Pattieu, par ailleurs militant au Front de gauche, a pris position du côté de ceux qui ont débrayé, un matin de janvier, et ont tenu jusqu’au printemps. « Ils ont été courageux et n’ont pas baissé la tête. Ils savaient que l’usine fermerait de toute façon, mais ils ont réussi à gagner certaines choses », estime-t-il.
Au plus fort de la grève, et alors que PSA et plusieurs responsables syndicaux dénonçaient la « violence » de la grève, Sylvain Pattieu avait signé, avec le sociologue Vincent Gay, une tribune dans le journal Le Monde, mettant en cause la « violence patronale », exercée à l’encontre des salariés d’Aulnay. « Une usine qui ferme, ce sont des gens qui perdent leur boulot, mais dont on bouscule aussi les relations sociales, les repères », rappelle-t-il aujourd’hui. Au fil du livre, c’est aussi sa voix qu’on entend. Celle de l’historien, qui exhume du passé d’autres figures ouvrières, d’autres grèves. Et du militant, peu clément à l’égard d’un gouvernement qui s’est montré, dit-il, « en dessous de tout ».
« Avant de disparaître », chronique de PSA-Aulnay (Editions Plein Jour), 344 pages, 19,50 €.
Source : Le Parisien