Vendredi se termine d'art d'art.
Publié le 19 Mai 2009
Ce que vous avez devant les yeux à l'instant vaut la modique somme de 11 million de dollars. C'est en tout cas le prix qu'un acquéreur a jugé bon de payer pour cet avion à réaction lors d'une vente aux enchères en novembre 2007. Mais cette image est-elle une photographie ou une peinture ? Telle est la question ! Et tel est le thème abordé en ce vendredi 15 mai en soirée à l'école d'art Claude Monnet d'Aulnay Sous Bois : le rapport étrange que la peinture et la photographie ont toujours entretenu à travers l'histoire. Ce rapport est ce soir là analysé au travers de Gerhard Richter, le peintre de cet avion à réaction, puisque ce n'est pas une photo mais une toile de 1963 intitulée Düsenjäger.
Avant la photographie, la peinture demeurait le seul moyen de figer une réalité sur un support. Au début, si la photographie permet une reproductibilité de la peinture et sa diffusion à grande échelle et donc une démocratisation de cet art, il apparait bien vite que la photo capture la réalité de manière bien plus réaliste qu'aucune peinture ne le peut. La peinture n'aurait donc plus de sens d'exister. C'est pourquoi, après l'avènement de la photographie, on voit cette frontière se dessiner entre ceux qui finalement acceptent la photographie et y voient même l'occasion de se surpasser, je fais référence ici à l'hyperréalisme, notamment, qui est une peinture inspirée d'images photographiques et qui tente par un rendu minutieux de se rapprocher au maximum de la réalité.
L'autre côté de la frontière c'est l'abstraction, c'est s'éloigner au maximum de la photographie, de la réalité, pour trouver une autre voix et une autre manière de s'exprimer à travers la peinture. Je fais ici référence par exemple à l'expressionnisme abstrait où la toile n'est plus un lieu de reproduction de la réalité mais un moyen pour le peintre d'exprimer des sentiments plus abstraits. Ci-dessous, à titre d'exemple, j'ai choisi deux peintures assez explicites des deux côtés de la frontière : d'abord d'un côté l'hyperréalisme de Ralph Goings avec un tableau datant de 1992 intitulé Empire Diner, Herkimer ( on croirait vraiment une photo et pourtant c'est de la peinture), puis de l'autre l'expressionnisme abstrait avec Jackson Pollock en plein travail tel un toréador dans l'arène et le résultat d'une de ses toiles de 1950 intitulée Number 1 ( difficile d'y trouver une représentation de la réalité).
Ce qui est amusant, pourtant, c'est qu'avant la photographie, certains grand-maîtres du XVème siècle ont sans doute utilisé des appareils optiques pour améliorer de façon considérable la qualité de leur toile en matière de réalisme. En effet, on observe à cette époque des progrès prodigieux et d'une rapidité presque stupéfiante en matière de rendu, qui devient quasiment photographique. En utilisant des dispositifs optiques ( des miroirs et des lentilles) il est devenu possible de projeter une image sur un support à la façon d'un rétroprojecteur ce qui permet de dessiner et peindre plus facilement. C'est en tout cas la théorie, parfois contestée, que développe David Hockney dans un livre passionnant et que je recommande chaudement : savoirs secrets, les techniques perdues des maîtres anciens. (Voir la couverture ci-dessous).
On le voit donc à travers le temps, ce rapport entre photographie, peinture et réalité est extrêmement passionné et passionnant. C'est ce qui m'a attiré ce soir là dans l'école d'art.
Pour en revenir à Gerhard Richter, sujet de cette conférence, son art est une véritable passerelle entre photographie et peinture. Né à Dresde en 1932, il est considéré comme l'un des artistes les plus chers et les plus influents de notre époque. Fortement marqué par la guerre et en particulier par la destruction de Dresde par les alliés en Février 1945, il décide de passer à l'Ouest en 1961 juste avant la construction du mur de Berlin. Il espère trouver là une meilleure opportunité d'exploiter son art. Richter est un passionné des photographies. Il les collectionne et les amasse en grand nombre. Des photos privées, des images de magazines prises au hasard et qu'il conserve dans ce qu'il appelle un "Atlas" et qui plus tard servira de réservoir à son inspiration picturale. Gerhard Richter fait donc partie de ceux qui ne voient pas en la photographie un ennemi mais plutôt une source d'inspiration.
Gerhard Richter ne reste pas confiné à une forme d'art spécifique et passe allégrement de l'abstrait, à l'hyperréalisme, ce qui lui vaut de ne jamais pouvoir être catalogué et explique sans doute en partie sa longévité et l'intérêt très fort qu'il suscite encore de nos jours.
L'une des facettes particulièrement développée lors de cette réunion à propos de l'art de Richter est l'utilisation d'une photographie pour réaliser un tableau, mais la peinture transmet une image floutée de la réalité qui lui donne un aspect presque effrayant ...Il commence avec des portraits et pousse cette technique à son paroxysme dans la série 18 Octobre 1977 réalisée en 1988 et qui revient sur un épisode dramatique de l'histoire allemande contemporaine à savoir le terrorisme de la Fraction Armée Rouge.
Ces tableaux, qui représentent les terroristes de la Baader Meinhof retrouvés morts dans leur cellule dans des circonstances suspectes, soulèvent une grande polémique en Allemagne confrontée à travers de l'art et donc d'une peinture à son histoire. Richter d'ailleurs pensera un moment réaliser des toiles sur les camps de concentration, mais il renoncera finalement préférant à l'époque peindre des toiles monochromes grises. Il dira que ces toiles seront une manière inconsciente pour lui de refuser de représenter une telle tragédie. Ci-dessous le premier des 15 tableaux du cycle 18 Octobre 1977. Il représente Ulrike Meinhof retrouvée pendue dans sa cellule de prison. Cette peinture est d'un réalisme photographique effrayant et dérangeant...
Présentée par Arno Gisinger de manière vivante et ludique avec le souci du détail et de la clarté, cette conférence d'une heure trente a été l'occasion pour moi de m'évader et d'explorer une facette supplémentaire de cette relation tumultueuse: photographie, peinture, réalité.
Pour finir quatre des nombreuses peintures de Gerhard Richter présentées ce soir là, avec dans l'ordre : red, blue, yellow de 1973 ; candle de 1982 ; chinon de 1987 ; et enfin un autoportrait de 1996.
La prochaine conférence aura lieu à la rentrée, le 23 Octobre 2009 précisément, au même endroit et aura pour thème : la mesure de l'exploit, photo et sport. Si vous êtes curieux, ne manquez pas ce rendez-vous.
PS : Je remercie l'agenda Aulnaysien de MonAulnay.com qui m'a permis de ne pas manquer ce moment d'art.
Rédigé par Stéphane Fleury le Mardi 19 Mai 2009 à 14Heures47.