Le minimum n’est pas assuré dans les écoles de Seine-Saint-Denis
Publié le 12 Février 2013
Véronique Decker, institutrice en Seine-Saint-Denis depuis trente ans, interpelle le ministre sur le non-remplacement des professeurs.
La mobilisation d’aujourd’hui contre la réforme du rythme scolaire promet d’être importante en Seine-Saint-Denis. Parce qu’ici, la colère dépasse le débat sur la semaine de quatre jours et demi, objet initial de cette journée d’action. La situation catastrophique liée aux absences d’enseignants non remplacés pousse aussi les instituteurs à défiler. Bien que Vincent Peillon ait pris acte de la situation propre au 93 et s’engage à redresser la barre sur le long terme, il n’a pas rassuré les enseignants.
L’école Marie-Curie*, à Bobigny, dont vous êtes la directrice, est fermée aujourd’hui. Pourquoi faites-vous grève?
VÉRONIQUE DECKER. Ça dépasse la réforme du rythme scolaire. Il faudrait déjà qu’il y ait un rythme! En ce moment, c’est du n’importe quoi scolaire. Soit les élèves n’ont pas d’instituteurs, et c’est de la garderie, soit ils en ont un, mais ils sont aussi avec 4, 6, voire 10 gamins d’autres classes, qui n’ont pas les mêmes habitudes, qui s’embêtent. Depuis la rentrée, avec la maternelle Anne-Frank du même groupe, nous avons eu quarante-quatre journées non remplacées, tous niveaux confondus. C’est trop, on est au-dessus de nos forces et pourtant, on n’est pas des chochottes.
Les parents d’élèves ont lancé une pétition. Ils se plaignent d’être des « laissés-pour-compte de la République ». Comment cela se traduit-il?
Des parents ont le sentiment d’être bafoués. A la maternelle, ils s’en sont pris ce matin au directeur. Leur colère est légitime, mais ils se trompent d’adversaire. Chez nous, en élémentaire, les instituteurs ont refusé de monter en classe ce matin. Et moi, je donne vaguement une photocopie le matin d’un exercice que je n’ai pas vraiment le temps de corriger. En termes d’apprentissage, il n’y a rien. On n’a plus d’assistant d’éducation, pas d’assistant administratif. En zone d’éducation prioritaire, il ne nous restait plus que la limite d’élèves par classe, à 23 élèves par classe, et là, elle saute.
Vous venez d’obtenir un remplaçant pour les CM 1-CM 2, sans enseignant depuis plus de deux semaines…
Oui, c’est un remplaçant qu’on enlève à la maternelle Vaillant où il devait rester jusqu’au 22 février. On déshabille Pierre pour habiller Paul. On nous propose 60 postes en Seine-Saint-Denis alors qu’il en manque déjà 250. J’invite Vincent Peillon à venir à l’école Marie-Curie, les élèves l’attendent. Qu’il leur explique pourquoi ça se passe comme ça ici. Le minimum n’est pas assuré dans notre département. Ici, on enseigne dans des conditions extrêmes de difficulté, à des enfants qui n’ont pas de logement, qui n’ont pas mangé le matin, et on ne leur donne même pas un instit par classe. On va dans le mur. Si l’école n’est plus un lieu où les enfants travaillent et apprennent, l’école est décédée. Ça fait plus de trente ans que j’enseigne en Seine-Saint-Denis, je n’ai jamais demandé ma mutation, j’ai peut-être eu tort.
* L’école est située dans la cité Karl-Marx et scolarise près de 280 élèves.
Source : Le Parisien