Le Billet de Veritis : Tonton, quinze ans déjà…
Publié le 10 Janvier 2011
J’entends et je lis beaucoup de choses en ce moment, à propos de F. Mitterrand, à l’occasion du quinzième anniversaire de sa mort. Alors, il m’a paru nécessaire de livrer mon petit témoignage….
Petit témoignage à l’usage des plus jeunes générations…
Il se trouve que François Mitterrand a été un vieux compagnon pour moi.
Cela date de mon adolescence, durant laquelle j’avais lu et vigoureusement annoté un de ses ouvrages qui s’appelait « Ma part de vérité » (qu’il ne faut pas confondre avec « Ma part de veritis »). C’était en 1969, juste après Mai 1968, qui a tant marqué notre jeunesse.
Mitterrand n’était pas encore au Parti socialiste. Il appartenait à un petit groupuscule qui s’appelait la Convention des Institutions Républicaines (C.I.R. qu’il ne faut pas confondre avec …cirer les pompes). Un de mes voisins, politicard en diable, qui appartenait à ce groupuscule lui a alors montré le livre que j’avais sérieusement annoté. Cela lui a plu. J’ai donc chez moi, une magnifique dédicace « En bien cordial hommage… » de Tonton himself !
Et puis, il y eut en 1971 le fameux congrès d’Epinay, où avec l’aide de l’aile gauche du P.S., le CERES de Chevènement (où figurait déjà, je crois, Mélenchon) Tonton s’empara du Parti socialiste (car le P.S. se prend toujours à gauche !). Première tentative à la présidentielle ratée de peu en 1974, année durant laquelle il eut la joie d’être père d’une fille qu’il aima tendrement mais qu’il cacha au Bon Peuple car les mœurs étaient moins avancées à cette époque…
Deuxième tentative réussie en 1981 grâce à un petit coup de pouce de Chirac qui n’a jamais été à une trahison près, et à un slogan inventé par le déjà sémillant Séguéla : « La Force tranquille ». Je me souviens encore de cette explosion de joie populaire autour de la place de la Bastille, bien qu’il ait beaucoup plu ce soir là (mauvais présage ?). Le vieux briscard de la politique, le savant manœuvrier qu’il était, le charmeur impénitent qu’il sera toujours, avait enfin son bâton de maréchal, puisqu’il occupait l’Elysée. Mais déjà Attali ne le quittait pas d’une semelle et l’ambassade américaine reçut des émissaires expliquant que les communistes n’étaient qu’une cerise sur un gâteau bientôt avalé (ce qui fut vrai d’ailleurs).
Bref, une autre bourgeoisie (celle des énarques et des grands commis de l’Etat) s’empara des affaires moyennant le processus des nationalisations qui n’avaient pour but que de permettre un accord électoral avec le P.C. mais surtout de procéder à une restructuration des grands groupes français dont certains étaient mal en point (par ex. la sidérurgie).
Et puis, le mur des réalités s’imposa assez vite, avec un déficit commercial supérieur à 100 milliards de francs (une paille par rapport aux déficits d’aujourd’hui), des dévaluations à répétitions, une inflation qu’il convenait de juguler, le tout se concluant par le fameux tournant de la rigueur de 1983. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce mot est devenu tabou aujourd’hui ! Bref, les politiques proposent, mais l’économie dispose … et le peuple aussi d’ailleurs … à intervalles réguliers.
C’est ainsi qu’en 1986 Chirac devint le Premier Ministre de Mitterrand avec les privatisations de Balladur qui furent un grand succès et ne furent plus jamais remises en cause par la suite et même augmentées durant la période Jospin.
Et c’est alors que le Vieux Lion reprit son bâton de maréchal avec sa Lettre aux Français et fut réélu en 1988 avec pour slogan « La France unie » (c’est marrant comme l’union est un mot fétiche en politique !) et pour programme le « Ni Ni » (une double négation ne faisant pas pour autant une affirmation…).
Comme il ne pouvait pas faire autrement, il nomma son meilleur ennemi Rocard, comme Premier Ministre, alors qu’il ne pouvait pas le saquer et qu’il congédia comme un laquais, trois ans plus tard. Mal lui en prit d’ailleurs puisqu’il nomma à sa place E. Cresson (que certains nommaient la Pompadour), chose qui s’avéra une catastrophe à tel point qu’elle fut remerciée un an après.
Elle fut alors remplacée par ce pauvre Bérégovoy, qui bien qu’ayant fait tout ce qu’il put pour mettre la France en ordre de marche pour la libéralisation de l’économie et la mondialisation, fut défait au cours des élections législatives en 1993, le peuple étant comme on le sait, fort chatouilleux et versatile. C’est ainsi que Balladur fut nommé Premier Ministre avec une deuxième cohabitation !
Mais c’est alors que les choses se gâtèrent quelque peu. Nous apprîmes, en effet, des choses que les gens du sérail savaient déjà mais que le Bon Peuple ignorait, car nous n’étions pas à l’époque d’Internet et des Wikileaks. Il apparût ainsi que le passé de notre cher François n’était pas aussi net que cela : décoration de la francisque sous Pétain, amitiés troubles avec Bousquet…
De là, le droit d’inventaire qui ne plut pas beaucoup à Tonton et aux Mitterrandolâtres, à tel point qu’il ne fit rien pour aider Jospin à lui succéder et qu’il fit tout au contraire pour favoriser Chirac au détriment de Balladur. De 1993 à 1995, son état de santé déclina peu à peu, à la suite du développement du cancer qu’il avait depuis 1981, mais qu’il tint soigneusement caché, en dépit de bulletins réguliers mais mensongers. J’eus d’ailleurs l’occasion de le voir rue de Bièvre en Juillet 1995 et je fus alors frappé par le ton de cire de son visage qui annonçait sa fin prochaine.
Que conclure de tout cela ?
Si l’on se place d’un point de vue politicien, on peut dire chapeau l’artiste !
Si l’on se place du point de vue de l’intelligence et de la culture, la première pouvait être redoutable et la seconde très vaste…sauf en matière économique.
Si l’on se place du point de vue de la morale, disons, pour être gentil, qu’elle était plutôt de l’ordre du zigzag ou de la géométrie variable.
Si l’on se place d’un point de vue politique plus fondamental, Mitterrand n’a jamais cessé d’être un personnage ambigu.
Il ne faut pas oublier, en effet, qu’il fut d’abord un homme de la IV République, qu’il est, au fond, toujours resté. Sauf qu’après avoir dénoncé « le coup d’Etat permanent » de De Gaulle » et les institutions de la V République, il se transforma lui-même, avec une très grande facilité, en une sorte de monarque républicain.
Au fond, je ne suis pas loin de penser que Mitterrand fut toujours un homme de droite qui prit les habits de la gauche avec sûrement un fond de sincérité mais surtout beaucoup de calcul politique… Car il ne faut pas oublier qu’il existait une haine recuite entre le Général De Gaulle et lui remontant à la période de la guerre, de sorte qu’à partir de 1958 son avenir politique devenait singulièrement compromis.
Dernière petite chose (si on peut dire) enfin. Ministre de l’intérieur de la IV République, durant la guerre d’Algérie, Mitterrand eut durant cette période quelque peu du sang sur les mains. En effet, il refusa de gracier un poseur de bombes qui, pourtant ne tua jamais personne. C’est une décision qu’il regretta toute sa vie. C’est aussi la raison pour laquelle, dit-on, il fut par la suite un partisan acharné de l’abolition de la peine de mort.
Paix à son âme !
Veritis.