Le Billet de Veritis : de la carte et du territoire (suite et fin) …
Publié le 6 Janvier 2011
Lors du billet précédent, nous avions évoqué la notion de carte au sens du mot map en anglais. Nous allons maintenant examiner le mot au sens de card, toujours en anglais.
Le phénomène des cartes s’est largement accru, au cours des vingt dernières années : carte de paiement, carte de crédit, carte d’une association, d’un club, carte de fidélité, carte d’identité, carte de séjour,… ; carte bleue, carte verte, carte orange… Tout y passe, à tel point que certains exhibent comme des trophées l’ensemble de leurs cartes comme autant de signes extérieurs de richesse qu’ils conservent précieusement dans ce que l’on nomme précisément un porte-cartes.
Tout se passe alors comme si l’ensemble de ces cartes permettaient d’accroître le territoire symbolique ou réel de chacun grâce au sentiment d’appartenance qui relie les possesseurs de la même carte. De l’identité à l’identification il n’y a qu’un pas que l’on peut franchir aisément ; de l’identification on peut alors glisser, si l’on n’y prend garde, vers la réduction ou l’exclusion.
Je me souviens d’un film magnifique intitulé « La vie des autres » qui connut un très grand succès en Allemagne, car il narrait par le menu, l’emprise liée à la surveillance policière qui sévissait, il y a à peine plus de vingt ans, en RDA. Tout cela bien sûr, au nom d’une ligne politique qui ne tolérait aucune nuance ou aucune déviance, qui contrôlait le moindre des faits et gestes de citoyens qui avaient le droit de penser…mais uniquement dans le sens du Parti. Il fallait donc avoir la carte, comme l’on dit, pour obtenir un travail ou un logement. Mais il fallait aussi et surtout avoir un cerveau bien « encarté » pour penser et agir selon les directives du Parti, au nom bien sûr du bien et d’une noble cause. Car, comme toujours, l’enfer est pavé des meilleures intentions !
Aujourd’hui encore, en Chine, en Russie et dans bien d’autres pays, vous pouvez croupir en prison si vous avez le tort de déplaire à tel ou tel dirigeant ou si vous souhaitez simplement dire ce que vous pensez. C’est la raison pour laquelle il faut se féliciter de l’attribution du prix Nobel de la paix au dissident chinois, Liu Xiaobo pour « ses efforts durables et non violents en faveur des droits de l’homme en Chine » comme l’a indiqué le comité norvégien. On rappellera ici que cet opposant purge actuellement une peine de onze ans de prison pour « subversion du pouvoir de l’Etat ».
Mais il ne s’agit là que de combats d’arrière-garde. Tout comme pour l’Europe de l’Est, le vent de la liberté soufflera tôt ou tard de la steppe asiatique jusqu’à Pékin, poussé par un mouvement d’émancipation auquel conduira tôt ou tard l’élévation du niveau de vie de nos amis chinois.
Bienheureusement notre pays reste à l’abri de tels excès. Fruit d’une riche histoire de mouvements des idées et de luttes, la liberté est, en effet, un bien précieux qu’il convient de chérir et de préserver. Est-on certain pour autant que des phénomènes plus ou moins insidieux ne font pas partie de pratiques locales encore en vigueur dans notre Bonne Démocratie ?
C’est ainsi que je me suis laissé dire que dans certaines communes de notre beau pays de France il n’est pas rare que l’on embauche des « chargés de missions » dont je ne nie pas forcément l’utilité, mais dont on me dit aussi, ô étrange coïncidence, qu’ils possèdent une « carte » d’une couleur identique ou similaire à celle de l’organe exécutif de la commune. On dit, en effet, assez souvent, que dans tel ou tel domaine, certains ont la « carte » et d’autres pas. Serait-ce la même chose pour la Fonction publique territoriale ?
On me dit aussi que certains sont mis au placard, qu’il existe des doublons, que les nouveaux venus ne sont pas forcément les plus mal lotis. Tout cela peut alors créer un sentiment de malaise, préjudiciable au bon fonctionnement d’une collectivité. Cela est d’autant plus vrai que les effectifs de la fonction publique territoriale ont largement augmenté depuis de nombreuses années. Je ne nie pas qu’il puisse exister des besoins nouveaux, mais le fonctionnement des systèmes bureaucratiques a fait l’objet de suffisamment d’études sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter sur le sujet.
Je comprends, par ailleurs, que n’importe quel exécutif puisse s’assurer de la loyauté et du devoir de réserve de l’administration qu’elle est chargée de diriger. Mais cela passe-t-il, par une orientation partisane des principaux agents de l’administration territoriale ? Franchement, je ne le crois pas. Il en va d’une certaine conception du service public à la française, gage de neutralité, d’une certaine conception de la démocratie où nulle discrimination ne doit être retenue en matière d’embauche que ce soit pour des raisons politiques, philosophiques ou spirituelles.
Ce que l’on demande à une administration c’est de l’efficacité, de la réactivité, une capacité d’initiatives et de propositions, une gestion parcimonieuse des deniers publics et un sens du service au public sans faille. Les inclinations politiques de tout un chacun, de caractère privé, ne doivent pas être un obstacle à l’embauche, mais n’ont pas non plus vocation à se transformer en passeport obligatoire. Tant il est vrai que les mots sont amusants : parti, partiel et partial ont la même racine !
Je présume donc que tout cela est faux. Qu’il s’agit de ragots sans fondement, de suspicions illégitimes ou de pratiques abandonnées depuis fort longtemps.
Dans ce domaine comme dans d’autres, il appartient à chaque citoyen de se faire une idée par lui-même.
C’est ainsi que dans notre beau territoire de France, les électeurs sont invités à rebattre les cartes à intervalles réguliers…
Veritis.