Gisèle Delhaye s’est battue mais a fini par mourir du cancer de l’amiante à Aulnay-sous-Bois
Publié le 23 Novembre 2015
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« Je suis en train de mourir de l’amiante. Il faut que les gens le sachent. » C’est ainsi que Gisèle Delhaye avait débuté l’entretien avec le Parisien, un après-midi de printemps 2014 à Aulnay. Avec cette petite femme volontaire et combative, on ne tournait pas autour du pot. Elle avait peu de temps, et le savait. Gisèle Delhaye s’est éteinte le 10 novembre dernier à l’âge de 76 ans, victime d’un mésothéliome — le « cancer de l’amiante — auquel elle a tenu tête bien plus longtemps que les médecins ne l’avaient prédit. Un ultime hommage lui sera rendu ce mardi, à l’église du Raincy.
La mort de Gisèle Delhaye a soulevé l’émotion à Aulnay, bien au-delà du cercle des amis et intimes. La septuagénaire avait pris la parole, malgré la maladie, pour dénoncer ce qu’elle appelait un « scandale de santé publique ». Et exprimer son immense colère à l’égard du CMMP (Comptoir des minéraux et matières premières) qui a broyé de l’amiante de 1938 à 1975 en pleine ville. « L’exemple de Gisèle nous renforce dans notre combat », confie Gérard Voide, du Collectif des riverains et victimes du CMMP. Il faut imaginer le choc que ressentit en 2010 cette femme dynamique, découvrant qu’elle souffrait d’un cancer incurable. Elle dut tout arrêter : son métier d’orthodontiste, ses fonctions de présidente de sa fédération professionnelle, ses cours à l’université. Elle racontait : « Un pneumologue m’a demandé : vous avez été en contact avec l’amiante ? Aucun des logements où j’avais vécu n’en contenait. Et puis un jour, mon mari a réalisé : Au fait, il y avait cette usine, à Aulnay… » En 2010, l’usine du CMMP venait d’être démolie. Elle avait définitivement fermé ses portes vingt ans auparavant. Mais l’amiante est une bombe à retardement : les maladies peuvent mettre quarante ans à se déclarer.
C’est alors que Gisèle était entrée en contact avec les associations. « Elle était sidérée par ce qui lui arrivait. Son témoignage a été extrêmement important », raconte le docteur Maurice Allouch, qui tenait alors une permanence d’information au centre de santé municipal. Car son récit était une preuve de plus que les fibres toxiques avaient fait des dégâts bien au-delà des murs de l’usine. Jusque dans le quartier du Gros-Saule, où elle avait emménagé en 1967, y ouvrant avec son époux un cabinet dentaire. Une étude sanitaire, publiée en 2007, a recensé plusieurs malades dans ce secteur. Gisèle Delhaye allait aussi dans les écoles du quartier, pour examiner la dentition des élèves. Ce sont précisément ces anciens écoliers que l’Agence régionale de santé tente aujourd’hui de retrouver, pour leur conseiller de passer des examens médicaux.
En 2012, le CMMP, visé par 25 plaintes, a bénéficié d’un non-lieu. Révoltée, Gisèle s’était résolue à témoigner, malgré la maladie. « C’est une question de dignité. Il faut dire que cette usine n’était pas une usine comme les autres ! » Même malade, c’était une femme élégante, au regard perçant. Au visiteur, elle tendait une photo d’elle, une photo « d’avant » : « Voilà ce que j’étais, voilà ce que je suis à présent », disait-elle, sans pathos, désignant d’un geste sa perruque et les sillons de fatigue creusant son visage. Mais à Aulnay, on garde d’elle l’image de cette « très jolie femme, avec ses beaux cheveux bruns, très épais », « une humaniste qui s’arrangeait avec les patients lorsqu’ils ne pouvaient pas payer tout de suite », et qui emmenait les copains de ses enfants au ski. « Et jusqu’au bout, une bagarreuse », glisse son époux.
Plus de 160 victimes recensées
Le chiffre progresse inexorablement. Le collectif des riverains et victimes du CMMP recensait en 2013 quelque 120 malades de l’amiante ayant travaillé au sein du CMMP, ou habité à proximité de l’usine. Désormais il en dénombre 160, « dont 44 mésothéliomes », note Gérard Voide. La recherche des victimes a longtemps été le fait des seules associations. Depuis un an, elle a pris une autre dimension. L’Agence régionale de santé (ARS) envoie des lettres types aux anciens élèves ayant fréquenté les écoles du quartier lorsque le CMMP broyait de l’amiante, les invitant à faire des examens. Ils peuvent aussi contacter une permanence ouverte le jeudi au Centre municipal de santé, 8-10 rue de Coullemont, à Aulnay. Tél. 01.48.79.41.00.
Source : Le Parisien