Pour être heureux, il suffit de cultiver son jardin...
Publié le 6 Mars 2011
Florence Weber est sociologue et professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris. Elle est l'auteur de L'honneur des jardiniers dans la France du XXe siècle (éd. Belin 1998)
Dans quelle tendance le retour à la terre actuel s'inscrit-il ?
Il est trop tôt pour dire que nous assistons au quatrième retour à la terre dans les sociétés occidentales, après l'invention des jardins ouvriers au XIXe siècle et les deux guerres mondiales. Ces dernières ont entraîné une pénurie alimentaire inédite. Aujourd'hui la volonté politique est absente et les vecteurs de la diffusion du jardinage sont presque exclusivement de nature commerciale. Ce retour est plus spontané, moins encadré. C'est le produit de préoccupations individuelles, qui utilisent des ressources individuelles.
Comment expliquez-vous l'hétérogénéité des publics touchés par cette mode potagère ?
En amont de cette hétérogénéité, il faut remarquer deux tendances de fond. Tout d'abord, les ménages français disposent plus souvent d'une maison avec terrain, conséquence des politiques d'accès à la maison individuelle et du phénomène de périurbanisation, d'abandon des centres-villes. Ensuite, les jeunes retraités sont plus nombreux, c'est la génération des papy-boomers, qui disposent de temps libre et sont en bonne santé. Mais, il est vrai, la mode potagère actuelle touche trois publics différents, pour qui elle constitue une solution à trois problèmes distincts : éviter la paupérisation, échapper au stress dû au travail et court-circuiter la production marchande.
Plus précisément, quels sont les ressorts de cet engouement ?
Cultiver les légumes pour faire des économies : voilà qui semblait une préoccupation archaïque il y a vingt ans. Aujourd'hui, cultiver son potager représente davantage une assurance contre la crainte de manquer qu'une véritable nécessité. En revanche, de nouvelles catégories sont touchées par le stress au travail, comme les femmes cadres. Faire son jardin est pour elles une façon efficace de rompre avec les soucis professionnels, de marquer une rupture. Jardiner c'est exprimer sa personnalité, ses compétences. Ce loisir procure plus qu'une simple illusion de liberté : une vraie parenthèse, un temps suspendu, dans un environnement social très dense. Enfin, la volonté de court-circuiter le marché, présente dans d'autres formes de consommation militante, a gagné du terrain. Les adeptes du potager cultivent une partie de ce qu'ils mangent. Ils oublient facilement que ce hobby dépend d'un autre marché, peut-être plus redoutable sur le plan écologique : le marché des produits phytosanitaires, des graines, des plants, qui se porte très bien.
Propos recueillis par Laure Belot dans Le Monde pour Direct Matin du 03/03/2011