Les élèves du collège Debussy d’Aulnay-sous-Bois tournent un reportage sur le bidonville rom du boulevard Chagall
Publié le 27 Mai 2014
Ils les ont vus s'installer progressivement sur une langue de terrain boueuse, bâtir leurs cabanes de fortune hérissées de cheminées crachant un maigre filet de fumée. Depuis cet hiver, les élèves du collège Debussy, à Aulnay, passent matin et soir devant le bidonville rom du boulevard Chagall, où s'entassent plus de 200 adultes et enfants. Et ce voisinage a forcément soulevé quelques questions.
« J'entendais des réflexions en classe, confie Younes Baassou, professeur d'histoire-géographie. Je me suis dit qu'il fallait absolument faire quelque chose à ce sujet. »
L'occasion s'est présentée dans le cadre d'un atelier journalisme. Encadrés par deux journalistes, une poignée d'ados de 4e et de 3e ont tourné un reportage autour de la difficile scolarisation des enfants du bidonville. Six d'entre eux ont été inscrits à l'école et sont allés en classe de janvier à mars. Le court-métrage, d'une durée de trois minutes et demie, vient d'être sélectionné pour un festival vidéo organisé par l'Académie de Créteil, début juin.
« L'idée est venue d'un élève. Il se demandait pourquoi ces enfants n'allaient pas à l'école », raconte Younes Baassou, qui a mis l'atelier sur pied avec un autre prof, Lahoucine Belkaïd. Sous la houlette d'un caméraman et du journaliste de Reuters Morade Azzouz, cinq collégiens ont mené l'enquête. Caméra au poing, ils sont allés à la rencontre des habitants du bidonville.
« On les a découverts, constate Rachid, 15 ans, d'un air grave. Avant on pensait que c'était des personnes à ne pas fréquenter. Mais ce qui m'a choqué, c'est que lorsqu'on a demandé aux enfants pourquoi ils ne veulent pas aller à l'école, ils nous ont répondu qu'ils avaient peur du regard des gens ».
Au cours du reportage, on découvre la bouille souriante des jeunes habitants du camp. Certains racontent qu'ils ont « joué au foot, mangé à la cantine » lors de leur bref passage sur les bancs de l'école. « Il faut de l'argent pour envoyer les enfants à l'école, pour acheter les habits. Et on n'a pas d'argent », explique un homme interviewé par les reporters en herbe.
Mohamed, collégien de 13 ans, fronce les sourcils derrière ses lunettes : « J'avais un peu peur. Ils sont souvent présentés comme des gens violents. Mais ils ont été très chaleureux. On leur a expliqué notre projet, ils ont été d'accord ».
Accompagnés d'un traducteur, les élèves ont tourné leur petit film en un après-midi. Ils ont aussi fait leur travail d'enquête, tentant de joindre la commune, l'Education nationale, interviewant des militants du collectif de soutien aux Roms.
Parmi les collégiens, les jumelles Kensia et Kendra, originaires de Côte-d'Ivoire, ont éprouvé un drôle de sentiment en explorant le village de baraques décaties. « Ça nous a rappelé le quartier de Treish Ville à Abidjan, où on a habité jusqu'à l'âge de dix ans », expliquent-elles. Ajoutant avec pudeur : « Quand on vit dans un bidonville, on ne s'en rend pas compte. On a l'impression de vivre dans un village normal. Nous aussi, les gens nous regardaient bizarrement ».
Les ados espèrent qu'ils pourront faire découvrir leur reportage à leurs camarades du collège, en attendant une projection le 4 juin lors du festival de Créteil. Une question taraude Kensia : « Et les Roms, ils pourront voir notre film ? ». Pas sûr, d'autant que le temps semble compté pour le village de fortune qui devrait être évacué, sur décision de justice, d'ici la fin juillet.
Source : Le Parisien