Le drame de la politique… ( 2/2 )
Publié le 3 Mai 2013
. La professionnalisation de la politique
Celle-ci n’est pas sans soulever de nombreuses questions.
Vocation au départ, la politique devient, peu à peu, un métier exercé par un professionnel. Le risque est donc que ce dernier songe plus à sa carrière et à ses intérêts qu’à la défense courageuse du bien commun. Le risque est aussi qu’il s’ « installe » dans son métier avec une pulsion libidinale vers le pouvoir qui dénature ses rapports avec ses concitoyens. Or, si la politique est un métier avec ce que cela implique de compétence et de technicité, ce n’est pas tout à fait un métier comme les autres, puisqu’il a la charge de l’intérêt général et de la « paix civile ».
C’est donc tout le problème de la démocratie représentative qui est posé ici. Difficile de faire autrement. Difficile aussi de s’en contenter. C’est pourquoi, à l’échelon local par exemple, on a pu parler de démocratie participative, mais on voit bien qu’on en est qu’aux balbutiements. Car, le vrai pouvoir se situe ailleurs. Y compris, en dehors des conseils ou assemblées qui ne sont, la plupart du temps, que des chambres d’enregistrement de décisions prises ailleurs. En raison de la technicité des dossiers mais aussi de la tendance à la concentration des pouvoirs. Cela est tout aussi vrai pour l’Assemblée nationale que pour un Conseil municipal.
C’est bien le sentiment diffus qu’ont de nombreux citoyens. Ils disent : « Ce ne sont pas les députés qui décident, mais les technocrates qui entourent les ministres et le Président ». « Ce ne sont pas les conseillers municipaux ou les adjoints au maire qui décident, mais le maire, seul, entouré de son cabinet ».
Voilà pourquoi, les gens sont dubitatifs ou désabusés et accordent difficilement leur confiance. D’autant que le contexte de crise des finances publiques n’arrange rien.
. La crise des finances publiques
Vouloir « faire » de la politique, pourquoi pas ? Mais avec quelles marges de manœuvre ? Promettre est très facile, mais tenir ses promesses l’est beaucoup moins. Vouloir diminuer les déficits et restaurer les finances publiques est assurément une bonne chose. Mais comment faire quand on ne veut fâcher personne et surtout pas son électorat ? Quand on répugne donc à diminuer la dépense publique. Comment faire quand il faut lever de nouveaux impôts sans casser la consommation ou l’investissement ? Il y faut un ingrédient essentiel qui s’appelle la confiance et qui, jusqu’ici fait cruellement défaut.
Quand on est candidat, c’est facile, il suffit de promettre ! Quand on est élu, c’est une autre paire de manches…Et viennent, alors, bien souvent, les promesses non tenues, les objectifs non atteints et donc la frustration, voire même la colère…Pas seulement parce que la situation peut être difficile, mais parce qu’on a souvent le sentiment d’avoir été trompés.
Car, sauf exception, il existe, jusqu’à présent, un étrange paradoxe : si vous dîtes la vérité à vos électeurs, vous avez peu de chances d’être élu car les gens aiment bien se bercer d’illusions. Ils veulent toujours plus et vous demandent toujours plus, sans se poser la question de savoir s’il est vraiment possible de satisfaire de telles demandes. De l’électeur citoyen on est passé à l’électeur consommateur. Donc, quelque part, et dans l’intérêt bien compris du candidat, la politique consiste bien souvent lors des campagnes électorales en un éloge du mensonge ! Etonnant, non, à un moment où l’on veut enseigner la « morale laïque » à l’école ?
Ce d’autant qu’on peut se demander quelle est l’ampleur véritable du pouvoir des politiques.
. L’impuissance relative des politiques
Quand ça va mal, on dit que c’est la faute à l’Europe, ou à la crise, ou aux marchés. Si l’on prend telle ou telle mesure c’est pour satisfaire aux critères de Bruxelles ou rassurer les marchés. Bref, on a le sentiment que les politiques suivent, plus ou moins bien, le train pour satisfaire à des exigences imposées de l’extérieur. Beaucoup de lois ne sont-elles pas, d’ailleurs, de simples transpositions des directives européennes ?
Discours un peu facile, peut-être, qui sert à faire passer la pilule, diront certains.
Mais sentiment contradictoire aussi. A la fois le sentiment que l’Europe s’occupe de tout dans le moindre détail à travers des lois, des décrets, des directives, des règlements, des circulaires, des normes de toutes sortes rendant la vie impossible via une bureaucratie étouffante. Et à la fois le sentiment que l’Europe et les Etats n’arrivent pas à maîtriser l’essentiel (croissance, emploi, équilibre budgétaire) et à se doter d’une véritable vision à long terme de l’économie et de la société.
Avec l’idée aussi que le véritable pouvoir n’est pas vraiment dans les instances politiques nationales et même européennes mais dans les grandes instances transnationales économiques (sociétés multinationales) et financières (banques et autres institutions). Pour reprendre les mots de Marx, tout se passe alors comme si la « superstructure » juridique et politique des Etats de l’Europe, voire de l’Europe elle-même s’avérait relativement impuissante face à l’ « infrastructure » économique et financière mondialisée.
Phénomène qui existe vraisemblablement à un degré moindre aux Etats-Unis en raison de leur rôle de puissance dominante, et surtout en Chine en raison de son rôle de puissance émergente. Où par une sorte de ruse dont l’histoire a souvent le secret, on peut parler de collusion manifeste entre les « hiérarques » du Parti « communiste » chinois, les entreprises d’Etat et les grandes entreprises multinationales. Du mariage délicieux d’une dictature « communiste » et de l’ultralibéralisme le plus échevelé…Mais cela nous amène peut-être un peu loin de notre propos…Encore que….Qui ne voit en effet que le phénomène Apple est la quintessence de la créativité américaine et de l’immense réservoir de main d’œuvre chinoise. Phénomène d’où l’Europe est absente au plan de la production… mais pas de la consommation ! Mais refermons ici cette longue parenthèse.
Dans ce spectre qui, je l’avoue, peut mêler des plans qui ne sont pas forcément au même niveau et de même nature, j’ai essayé de pointer :
. Pour les deux premiers points, les contradictions majeures qui tiennent aux formes d’exercice du pouvoir allant du citoyen jusque aux instances représentatives (voir à ce sujet les travaux de P.Rosanvallon que j’ai rappelés dans un article du 17 novembre 2010)
. Pour les deux derniers points, les contradictions majeures entre décision politique locale ou nationale et champ économique européen ou mondialisé (problème évoqué dans mon article du 8 avril 2011). De ce point de vue les réflexions de la gauche et de la droite ne sont pas absentes. Mais chaque camp est tiraillé par des courants contradictoires comme l’a bien montrée la polémique du week-end dernier sur les relations franco-allemandes.
Primat du social ou primat de l’économie ? Primat du social jusqu’à affaiblir l’économie ou primat de l’économie au service du social ? Principe d’une certaine forme de protection économique aux frontières européennes ou principe d’un libéralisme plus ouvert ? Dans ce monde en mutation il faut se garder, je crois, de réponses simplistes. A l’heure où l’on parle beaucoup de métissage, il n’est pas interdit de penser que celui-ci puisse aussi opérer en politique et au-delà.
Car, il est loin le temps où le parti avait réponse à tout. Loin, le temps où la ligne du parti servait de viatique à tous les abus au nom d’une « pureté » idéologique dont on voit bien les remugles ici ou là. Dans les comportements, les actes, les propos….bref tout ce qui fait le drame d’une conception de la politique passablement datée qui hante toutefois encore l’inconscient collectif et individuel…
Il y a de nombreuses raisons de penser que nos sociétés sont malades. Il n’est pas sûr, pour autant, que la thérapeutique soit fondamentalement d’ordre politique !
Veritis