Annie Thébaud-Mony militante anti-amiante raconte son combat en Seine-Saint-Denis
Publié le 9 Décembre 2014
Le livre qu'elle vient de publier, « la Science asservie » (Ed. La Découverte), est un réquisitoire à l'encontre des industriels qui ont exposé leurs ouvriers à des substances toxiques. Le propos est sans concession, à l'image de son auteur. Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé désormais à la retraite, est une militante.
Porte-parole de l'association anti- amiante Ban Asbestos, elle fait partie de ceux qui ont brisé le silence autour de l'ancienne usine d'amiante du CMMP à Aulnay-sous-Bois. En 2012, cette petite femme menue aux cheveux argentés avait d'ailleurs refusé la Légion d'honneur que la ministre Cécile Duflot avait demandée pour elle, en pointant le manque de moyens dévolus à la recherche en santé publique.
Avant de diriger le Giscop, groupement scientifique rattaché à l'université Paris XIII-Villetaneuse, Annie Thébaud-Mony est passée par l'Algérie, le Brésil... Mais son travail dans le 93, au début des années 1980, a marqué un tournant. « Au détour d'une enquête sur la tuberculose, j'ai découvert des malades qui souffraient de la silicose ou de l'asbestose (NDLR : maladies contractées dans le cadre de leur travail). Or, on ne disposait d'aucune donnée sur les maladies professionnelles. »
Elle se penche alors sur le sort d'anciens ouvriers marocains, laissés sur le carreau après la fermeture en 1984 d'une fonderie à Bondy. Elle découvre « des situations humaines insupportables ». « Ces gens étaient en mauvaise santé, incapables de trouver un autre travail. Or, on les avait précisément recrutés parce qu'ils étaient solides. Sans travail, ils allaient se retrouver sans papiers. » Au fil du temps, la chercheuse s'ancre dans le 93. « Le conseil général nous a longtemps soutenus dans nos travaux », se souvient-elle.
En 1993, Annie Thébaud-Mony participe à un groupe de travail départemental sur l'inégalité face aux cancers. De 2000 à 2006, elle lance une enquête auprès de 1 300 cancéreux, soignés dans trois hôpitaux : Robert-Ballanger (Aulnay), Avicenne (Bobigny), et l'hôpital intercommunal de Montfermeil. La reconstitution minutieuse de leurs parcours professionnels aboutit à un constat accablant : 84 % de ces malades ont, aucours de leur vie, été exposés à plus de trois substances cancérogènes. La fermeture des usines signifie-t-elle que le danger a disparu ? « Non », répond-elle sans hésiter : « Le département compte désormais beaucoup de petites entreprises sous-traitantes. On observe le développement de cancers précoces chez des gens beaucoup plus jeunes qu'avant. » Elle raconte ainsi une visite récente au sein d'une entreprise de recyclage de batteries de voitures à Pierrefitte, rappelée à l'ordre par l'inspection du travail : « Les employés désossaient les batteries à mains nues dans un coin de l'atelier... »
Une autre menace subsiste, enfouie dans les sols des friches. Annie Thébaud-Mony reste mobilisée avec les victimes du CMMP et les riverains des villes voisines du fort de Vaujours, qui fut un centre de recherche du Commissariat à l'énergie atomique. Son conseil aux habitants qui s'inquiètent du voisinage d'une friche industrielle : « Avant de faire des études de sol, il faut accéder aux documents retraçant l'histoire du site. S'il est classé, un dossier existe, que ce soit en mairie, aux archives départementales ou au Service technique des installations classées. Cela permet de déjouer les mensonges de l'entreprise pollueuse. »
Source : Le Parisien