Publié le 13 Mars 2014
On ne peut pas compter sur les patrons. Eric, à la tête d’une boîte de maintenance de véhicules, avait convié fin février tout son réseau de petits entrepreneurs d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) à débattre avec le maire (PS) en campagne. Presque tous se sont défilés. La réunion d’appartement se tiendra en tout petit comité. L’hôte prétexte les congés scolaires, la gestion du tout-venant au boulot, une mystérieuse épidémie d’angines…
Et soupçonne un fond de désintérêt pour la politique. «Ce n’est pas une question de droite ou de gauche mais nous, les petites entreprises, on se sent un peu délaissés. On ne demande pas le tapis rouge mais la ville n’a pas fait grand-chose pour nous.» Candidat à sa réélection, Gérard Ségura soupire en se grattant la tête : «C’est vrai que le dossier PSA a pris le dessus sur nos projets économiques.»
Le socialiste a un air de Droopy fatigué. Son premier mandat n’a pas tourné à la franche rigolade : trois ans de bras de fer avec PSA, dès 2011, soldés par la fermeture de son usine, l’un des premiers employeurs industriels du département. La dernière Citroën C3 est sortie de la chaîne le 25 octobre. Difficile de repartir en campagne tout feu tout flamme. Le socialiste ne cherche pas à minimiser la casse : le coût social évident, l’attractivité économique de la ville en panne, un trou dans le budget municipal qui atteindra en 2016 trois millions d’euros annuels de pertes de recettes fiscales. Et une facture électorale ? Le scrutin est doublement risqué pour le sortant, confronté à ce sinistre industriel, et qui plus est du même bord qu’un gouvernement à la peine sur le front du redressement industriel et de l’emploi. A la tête d’une liste PS-PRG-MRC-PCF, mais sans Europe Ecologie-les Verts, Gérard Ségura veut croire qu’il n’en fera pas les frais et juge la ville prête à rebondir (lire ci-contre) : «On se tourne vers l’avenir, on est en train de dépasser le traumatisme.»
«La fin de PSA a été un choc, mais Aulnay n’est pas Florange», tempère un élu. L’usine est nichée à l’extrême nord de la ville, loin du sud pavillonnaire, mais elle est dans le paysage depuis quarante ans et le nord populaire s’est construit en fonction d’elle. Certains l’appellent encore «l’usine Citroën». Seuls 240 des 3 000 salariés de PSA vivaient à Aulnay, mais tous les habitants ont un ami, un voisin, qui a travaillé sur les lignes de production. Nombreux sont ceux passés pour un job d’été, un boulot en intérim.«L’usine n’embauchait plus depuis longtemps mais on savait qu’elle était là», se souvient un Aulnaysien. Ce n’était plus un fleuron mais c’était tout un symbole.
Reproche. Le candidat UMP, Bruno Beschizza, diagnostique, lui, «un sentiment de déclassement chez les habitants, impression que la fermeture de l’usine a amplifié». La droite n’accuse pas le maire d’avoir laissé partir le constructeur automobile mais d’avoir«mal géré» la crise. Ségura aurait joué les matamores face à la direction du groupe. L’homme passe pourtant pour un discret mais Jacques Chaussat, tête de liste UDI, lui reproche de s’être empêtré dans «un bras de fer inutile», visant aussi le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, «dont on connaît la verve et les moulinets».Beschizza dénonce un «activisme de casseur de chaises qui n’a pas servi le monde ouvrier et a fait peur aux investisseurs». Il rappelle avec gourmandise la visite de Manuel Valls au côté du maire, en janvier dans le quartier du Gros-Saule, chahuté par un jeune homme qui avait lancé au ministre de l’Intérieur : «La prochaine fois, ce serait bien de venir avec le ministre de l’Emploi.»
Mais loin de lui, jure le candidat UMP, l’idée de «nationaliser» la campagne. Il a tout de même fait venir Jean-François Copé et Valérie Pécresse et recevra Jean-Pierre Raffarin lundi. Et ses concurrents glissent avoir surtout vu le conseiller régional tracter sur le prétendu enseignement du genre à l’école en brandissant les livres Tous à poil ! et Mehdi met du rouge à lèvres. «Il prend ses repères», «il bosse le plan de la ville», se moquent les autres candidats. Beschizza minimise un «petit parachutage par l’autoroute A3». De Rosny-sous-Bois, l’ancien syndicaliste policier de Synergie et spécialiste sécurité de l’UMP a déménagé sa famille de cinq enfants il y a six mois, appâté par «l’enjeu politique et économique d’Aulnay», à savoir la reconquête de la commune, dirigée par la droite pendant vingt-cinq ans avant de basculer en 2008, et la reconstruction post-PSA.
Colère. Parmi les anciens de l’usine, l’action du maire laisse une impression mitigée. Lui rejoue le film de sa bagarre pour «accompagner la lutte sociale et le plan de reclassement» et raconte avoir été «un des rares», le jour de l’annonce de la fermeture, en juillet 2012, à venir aux portes de l’usine. «Il y avait des gars avec trente-cinq ans de maison qui pleuraient, raconte Tanja Sussest, déléguée du SIA, le syndicat majoritaire.J’avais la rage, c’est le maire qui a ramassé.» Depuis la syndicaliste et l’élu se sont rabibochés… au point de faire liste commune. Installée à Aulnay fin 2013, elle s’est vue promettre la délégation à l’emploi. Un autre ex-salarié se présente à Aulnay, Marc Darsy, délégué CGT et tête de liste LO. Pour lui, le maire s’est plus intéressé au terrain que PSA laisserait vacant qu’au maintien de l’usine. Un autre cégétiste, Jean-Pierre Mercier - aussi à LO - s’étonne que le socialiste, «de la même couleur que le gouvernement, ne nous ait pas ouvert plus de portes. Il n’a pas voulu faire de vagues auprès du gouvernement».
Le maire, lui, se targue d’avoir obtenu du groupe automobile l’engagement de proposer systématiquement des reclassements, internes ou externes. «Zéro salarié à Pôle Emploi, on s’est battus pour ça», trompette-t-il. Surtout, il est convaincu d’avoir un coup à jouer avec la reconversion du site. Et si sa proximité politique avec le gouvernement peut tenir du boulet dans la campagne, pour cette nouvelle manche, appartenir à la majorité socialiste à la région et au département - celui du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui lorgne sur le Grand Paris - ne joue pas, loin de là, en sa défaveur.
Source : Laure Equy - Libération