L’interruption volontaire de grossesse (IVG), un droit toujours fragile dans le 93
Publié le 9 Janvier 2015
Jeanne Cherhal, Arthur H et Clarika ne chanteront finalement pas ce soir au théâtre du Garde-Chasse des Lilas. Le concert qui devait marquer l'anniversaire de la loi Veil sur le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), a été annulé hier soir, « en raison de l'actualité ».
C'est ce qu'indique le collectif de soutien à la maternité des Lilas, qui organisait l'événement. La maternité, aujourd'hui menacée de fermeture, a été partie prenante dans les différentes luttes en faveur des femmes. Le concert est reporté à début mars.
Quarante ans après la loi autorisant l'avortement, l'accès à l'IVG n'est pas toujours évident. C'est ce qu'il ressort de la dernière enquête menée par l'association du Mouvement français pour le planning familial de Seine-Saint-Denis (MFPF). Le 93 est le département francilien où le taux de recours à l'IVG est le plus élevé. Pour évaluer la prise en charge dans les six hôpitaux et huit cliniques du département pratiquant l'IVG, les militantes du MFPF ont questionné les établissements. Mais elles ont aussi réalisé une forme de « testing », en se faisant passer pour des femmes souhaitant interrompre une grossesse.
Leur conclusion ? « Les délais sont toujours trop longs, de deux à cinq semaines en moyenne pour obtenir la réalisation d'un avortement. » Ce qui rend « très difficile l'obtention d'une IVG » lorsqu'une femme est proche de la fin du délai légal. Les difficultés apparaissent dès la prise de rendez-vous téléphonique : le MFPF dénonce les standards « surchargés qui laissent les appels sans réponse ». Par exemple, à l'hôpital Jean-Verdier, à Bondy, « un appel sur 6 aboutit après 5 à 10 minutes », selon l'enquête. Sans parler des « numéros d'appels surtaxés » (une prise de rendez-vous peut coûter 5 € !).
Au sein des établissements visés par l'enquête, on relativise. « La Seine-Saint-Denis n'est pas le département le plus en difficulté parce qu'il a toujours été actif et militant », estime le docteur Ghada Hatem, chef de la maternité de l'hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (un millier d'IVG par an). Selon l'enquête, le délai entre le premier rendez-vous et l'intervention y est de deux semaines. « Nous avons travaillé depuis dix-huit mois, pour réduire les délais, précise le docteur Hatem. Quand la situation est urgente, nous nous démenons. »
« Nous ne refusons jamais une patiente », indique aussi Nathalie Cherradou, sage-femme et responsable du planning familial à l'hôpital Ballanger, à Aulnay (près d'un millier d'IVG par an). Elle pointe la « période critique des congés annuels » : « On voit arriver des femmes venant de très loin, de l'Oise, de Seine-et-Marne. Le problème, c'est que tous les centres ne jouent pas le jeu. Quand l'un ferme trois semaines en été, cela se fait sentir. »
L'enquête du MFPF93 pointe aussi du doigt les difficultés de prise en charge de mineures. Dans les cliniques de l'Estrée, à Stains et Floréal, à Bagnolet, un accord parental a parfois été demandé par le médecin, ce qui est contraire à la loi. « On ne peut pas faire d'une réponse une généralité, remarque-t-on à la clinique de Stains. Nous nous engageons à mettre à disposition les infrastructures et à permettre la bonne prise en charge des femmes. Ensuite, cela relève de la responsabilité du médecin. »
La maternité des Lilas (950 IVG par an), est attentive à la situation. « Comment se fait-il que 40 ans après la loi Veil, son application sur le terrain reste aussi difficile ? Le problème est qu'elle n'oblige aucun médecin à pratiquer les interruptions », précise Marie-Laure Brival, chef de service, qui met en garde contre l'éventuelle fermeture de l'établissement. Ce serait « une perte considérable » pour la qualité de la prise en charge dans le 93.
Quelques chiffres sur l’IVG dans le 93.
14 établissements du 93 pratiquent l'IVG : six hôpitaux et huit cliniques.
8 867 IVG réalisées par des femmes domiciliées dans le 93 en 2012 (pour 51 625 Franciliennes)
22,7 pour mille femmes : taux de recours à l'IVG dans le 93 (le plus élevé d'Ile-de-France, le taux francilien étant de 17,2 pour 1 000)
15,6 pour mille ados de 15 à 18 ans : taux de recours à l'IVG chez les mineures en Seine-Saint-Denis (11,1 pour 1 000 en Ile-de-France)
78,7 % des IVG dans le 93 sont pratiquées en milieu hospitalier
Source : Le Parisien