Gisèle habitante d’Aulnay-sous-Bois est en train de mourir à cause de l’amiante
Publié le 23 Novembre 2014
Je suis en train de mourir de l'amiante. Il faut que les gens sachent », martelait-elle il y a quelques jours à sa sortie de l'hôpital. Gisèle Delhaye, une petite femme élégante, l'oeil assombri par une colère inextinguible, est déterminée à témoigner. Il y a quatre ans, cette orthodontiste installée depuis 1967 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) consulte pour une douleur à la poitrine. Le diagnostic tombe : elle souffre d'un mésothéliome, un cancer de la plèvre, la membrane qui entoure le poumon. « Une maladie qui n'a pas d'autre cause que l'amiante. La pire de toutes, celle dont on ne guérit pas », résume l'énergique septuagénaire d'un ton neutre.
Mais où et quand Gisèle avait-elle pu entrer en contact avec l'amiante ? « Aucun des logements où j'avais vécu n'en contenait. Et puis, un jour, mon mari a réalisé : Au fait, il y avait cette usine à Aulnay... Je n'y avais jamais mis les pieds mais l'évidence était là. » Combien sont-ils, comme Gisèle, à avoir ignoré le danger que représentait le Comptoir des minéraux et matières premières (CMMP) ? L'usine avait ouvert ses portes en 1938, dans de longues bâtisses de brique cernées par des pavillons et voisines d'une école. On y a broyé de l'amiante jusqu'en 1975, en dépit des plaintes du voisinage, dès les années 1950. L'agence régionale de santé (ARS) vient de lancer une campagne d'information inédite visant les anciens écoliers du quartier, soit 13 000 personnes.
L'amiante est une bombe à retardement : les maladies qu'il provoque se déclarent dix à quarante ans après l'exposition. Ce n'est qu'en 1996, alors que l'usine a déjà cessé son activité, que la première victime probable de l'usine-poison est identifiée. Pierre Léonard, qui habitait le quartier depuis son enfance, meurt d'un mésothéliome à 49 ans. C'est le début d'une mobilisation sans relâche pour faire reconnaître la pollution environnementale causée par le CMMP, établie définitivement en 2007 par l'Institut de veille sanitaire. Gisèle passait devant l'usine « sans savoir » : « On ne la voyait pas de la rue. Je suis sidérée d'avoir été inconsciente de cela. »
Dans les années 1960, elle vivait avec son mari et ses enfants dans un appartement du quartier du Gros-Saule : « Le malheur a voulu que nous soyons sous les vents portant les poussières d'amiante vers le nord. Il y a eu plusieurs malades dans ce secteur. » Pendant des années, elle s'est aussi rendue deux fois par an dans les écoles voisines de l'usine pour y examiner la dentition des enfants. Ce sont précisément les anciens élèves de ces établissements que l'ARS contacte aujourd'hui. De sa famille, elle est la seule à avoir déclaré la maladie.
« Je suis victime d'une triple peine, juge-t-elle amèrement. Je suis malade. J'ai habité dans une commune abritant une usine d'amiante sans le savoir. Et enfin, c'est avec mes impôts que la municipalité a payé la démolition et la dépollution de l'usine. » En juillet 2013, le CMMP, visé par 25 plaintes, a bénéficié d'un non-lieu*. « C'est à ce moment que j'ai décidé de témoigner. Je veux faire tout ce que je peux pour révéler ce scandale. » * Les dirigeants de l'époque où l'usine broyait de l'amiante sont tous morts, et, les faits étant antérieurs à l'entrée en vigueur du Code pénal de 1994, la justice a estimé que la personne morale du CMMP ne pouvait être mise en cause.
Source : Le Parisien