La lourde facture de l’usine d’amiante d’Aulnay-sous-Bois au tribunal

Publié le 12 Septembre 2015

La lourde facture de l’usine d’amiante d’Aulnay-sous-Bois au tribunal

Le petit homme au visage chiffonné a pris place dans la file d’attente qui s’étire devant le palais de justice de Paris. Gérard Kalfon a perdu sa femme il y a peu, emportée par un mésothéliome.

Le cancer de l’amiante.

S’il est là ce jeudi, c’est pour voir la PDG du Comptoir des minéraux et matières premières (CMMP) face aux juges de la deuxième chambre civile. L’usine du CMMP a broyé de l’amiante en pleine ville à Aulnay, de 1938 à 1975. L’épouse de Gérard, enfant, avait fréquenté l’école voisine, et le couple avait emménagé en 1965 « à 500 m de l’usine ».

Arlette Khalfon fait partie des quelque 140 victimes recensées par les associations. L’Agence régionale de santé (ARS), recherche depuis un an les anciens écoliers du quartier, pour qu’ils pratiquent des examens médicaux.

Pourtant, ce jeudi, l’audience ne porte pas sur les dégâts sanitaires causés par l’ancienne usine, rasée en 2009. Visé par 25 plaintes au pénal, le CMMP a bénéficié d’un non-lieu en 2013*. Il n’est question désormais que de la lourde facture de la démolition-dépollution de « l’usine-poison ». Mais derrière les chiffres et les additions, c’est bien le principe du « pollueur-payeur » qui se trouve posé.

La procédure avait été initiée en 2004 par… le CMMP lui-même. L’industriel avait attaqué la société immobilière Kappa, qui lui avait racheté le site cinq ans plus tôt, pour qu’elle paie une partie des travaux de dépollution exigés par l’Etat. Le CMMP assurait avoir « nettoyé » la place avant de partir. Des analyses révélaient quelques années plus tard la présence d’amiante sur le site et en sous-sol.

Le paradoxe, c’est qu’à ce jour, l’industriel n’a encore rien déboursé pour la démolition de son usine, entamée en 2009. Un chantier hors normes, entièrement confiné « sous bulle » pour éviter la dispersion de poussières d’amiante. Intervenants volontaires dans cette procédure, la ville d’Aulnay et la société d’économie mixte Deltaville, maître d’ouvrage de la dépollution, réclament au CMMP quelque 17 M€ (pour les travaux et le déménagement de l’école voisine du site dangereux).

Pour se défendre, le CMMP invoque toutefois un protocole d’accord, signé en 2009. L’industriel s’y engageait à débourser 400 000 € (qu’il n’a pas encore versés) pour la dépollution. En échange, la ville et Deltaville renonçaient à engager des recours ultérieurs contre l’entreprise. « Si on me réclame 17 M€, c’est simple, je mets la clé sous la porte », assure, à l’issue de l’audience la PDG du CMMP, Joëlle Briot.

De leur côté, les associations des victimes et riverains, qui sont aussi intervenantes volontaires, mettent en cause l’accord conclu en 2009, « contraire à l’ordre public » qui impose au pollueur de payer. « Oui, le CMMP avait mis l’amiante sous le tapis », accuse leur avocat, Me François Lafforgue. Décision du tribunal le 22 octobre.

Repères

1938 : ouverture de l’usine du Comptoir des minéraux et matières premières (CMMP) à Aulnay, en pleine ville.

1991 : fermeture du CMMP, qui a broyé de l’amiante jusqu’en 1975.

1997 : première plainte au pénal contre le CMMP.

1999 : le CMMP vend le site à la société immobilière Kappa.

2004 : le préfet ordonne au CMMP de dépolluer le site.

2006 : l’école du Bourg, voisine de l’usine en ruines, déménage ses classes dans des locaux provisoires. La démolition des bâtiments est interrompue par l’Inspection du travail.

2009 : la société Deltaville acquiert le site afin de le dépolluer, pour le compte de la ville d’Aulnay. Un protocole d’accord établit que le CMMP contribuera au chantier à hauteur de 400 000 €.

2010 : les ouvriers découvrent de l’amiante enfoui en sous-sol.

2013 : le CMMP, visé par 25 plaintes au pénal, bénéficie d’un non-lieu.

2014 : l’Agence régionale de santé lance une enquête inédite afin de retrouver les 13 000 anciens élèves de l’école du Bourg, entre 1968 et 1975.

*La justice a estimé que la personne morale du CMMP ne pouvait être mise en cause, les faits étant antérieurs au Code pénal de 1994. Quant aux dirigeants de la société à l’époque où celle-ci broyait de l’amiante, ils sont tous morts.

Source : Le Parisien

Rédigé par Aulnaylibre !

Publié dans #Amiante

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