La vie des homosexuels est-elle plus difficile en Seine-Saint-Denis ?

Publié le 3 Juin 2021

« L’homophobie existe partout », insiste Johan Cavirot, président de FLAG! (association des agents LGBT des ministères de l’Intérieur et de la Justice), avant de glisser : « Mais c’est plus facile de tenir la main à son copain au centre de Paris qu’à Saint-Denis. Lorsque j’y travaillais, je cachais mon orientation sexuelle dans certains quartiers même si c’est sûrement à cause de préjugés. »

Début mai, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis a signé une convention dans laquelle il s’engage à mieux signaler les violences homophobes. En Ile-de-France, Paris et la Seine-Saint-Denis sont les seuls départements à signer cette charte qui vise à communiquer sur l’application nationale de signalement des actes LGBTophobes créée en 2020 par FLAG! , l’association qui regroupe les fonctionnaires des ministères de l’Intérieur et de la Justice.

« Elle a été beaucoup utilisée à Paris car la ville communique dessus depuis un an, explique le président de l’association. On a comptabilisé 244 signalements pour Paris et la petite couronne sur les dix mois de 2020. Le conseil départemental de Seine-Saint-Denis pourra voir l’évolution de la LGBTphobie en temps réel alors que les statistiques du ministère de l’Intérieur concernent l’année précédente. »

Géolocaliser les injures et agressions pour mieux lutter contre les LGBTphobies

Le principe ? Les citoyens et les acteurs publics peuvent y signaler anonymement des injures ou des agressions homophobes. Les actes géolocalisables permettront d’émettre « une photographie des LGBTphobies sur le territoire » selon le conseil départemental qui considère ces « données essentielles pour mieux lutter contre ces discriminations ».

« J’ai eu l’occasion de croiser les représentants de FLAG! lors d’un colloque contre les LGBTphobies. On n’a pas hésité lorsqu’ils nous ont proposé une collaboration plus étroite. Les victimes connaîtront grâce à l’application les bons interlocuteurs pour porter plainte », se félicite Stéphane Troussel, président du conseil départemental en soulignant que le « département est engagé depuis longtemps dans la lutte contre toutes les discriminations ».

 

« Dans l’imaginaire social, l’homosexualité est perçue comme blanche, mobile et dotée d’un fort capital économique»

En 2020, le département et l’institut Harris ont publié un baromètre des discriminations dans lequel 75 % des participants estimaient « que des personnes étaient discriminées en Seine-Saint-Denis en raison de leur orientation sexuelle ».

Plus homophobe que les autres départements d’Ile-de-France, la Seine-Saint-Denis ? En 2020, selon les chiffres de la préfecture de police, les infractions commises en raison de l’orientation ou de l’identité sexuelle des victimes ont baissé partout en petite couronne… sauf en Seine-Saint-Denis. Mais depuis le début 2021, c’est à Paris qu’elles explosent — 104 faits recensés contre 68 sur la même période l’année précédente.

L’homophobie n’est « pas plus présente dans le 93 qu’ailleurs » résume Axel Ravier, auteur d’un mémoire de sociologie sur « la visibilité des gays en cités ». « Depuis les années 1990, la presse dépeint ces territoires comme un enfer où sévit l’islam et donc l’homophobie », observe le chercheur, ajoutant que la réalité s’avère « plus nuancée ». La Seine-Saint-Denis suscite pourtant de vives réactions à ce sujet, y compris chez les associations LGBT +, certaines ayant renoncé à s’y implanter, de peur d’accréditer la thèse d’un territoire homophobe. Voire d’être taxée de racisme.

«Culte de la virilité» dans les cités

« Dans l’imaginaire social, l’homosexualité est perçue comme blanche, mobile et dotée d’un fort capital économique, estime Axel Ravier. Il existe aussi une injonction à la visibilité de la part de la société. En réalité, des personnes LGBT + vivent leur orientation en cités mais de façon plus discrète qu’ailleurs ». Une réserve qui s’explique par le « contrôle social » dans ces banlieues, sorte « de villages où tout le monde se connaît », note Salima Amari, sociologue et autrice de « Lesbiennes de l’immigration ». « On peut s’y sentir oppressé », lâche-t-elle.

Au cours de ses entretiens avec des homosexuels des cités, notamment en Seine-Saint-Denis, Axel Ravier a observé « qu’ils préfèrent dissimuler leur homosexualité afin de ne pas se couper des liens affectifs et économiques ». « Ils restent en banlieue, tout en ne s’affichant pas, mais n’en souffrent pas forcément », analyse-t-il, en admettant la prégnance « du culte de la virilité » dans ces territoires.

«T’es arabe donc tu n’as pas le droit d’être homo»

Cette discrétion se remarque sur les sites de rencontre. « De nombreux gays affichent une biographie succincte et une absence de photo de profil lorsqu’ils viennent du 93 », note le sociologue. Mais cette attitude de retrait résulte aussi du racisme. « Certaines personnes rejettent les gays racisés de banlieue. En gros, elles leur disent : T’es arabe donc tu n’as pas le droit d’être homo », ajoute-t-il.

La religion peut jouer aussi sur l’acceptation de l’identité sexuelle. « Certains cultivent une distance avec le culte familial. La société voudrait qu’ils rompent avec leur foi mais d’autres ajustent ce lien entre sexualité et religion », décrypte Axel Ravier.

Salima Amari a, elle, étudié les comportements des lesbiennes issues de l’immigration maghrébine, notamment en Seine-Saint-Denis. « Des mères peuvent faire pression sur leur fille pour garder leur réputation », éclaire la chercheuse. Des femmes lui ont ainsi confié avoir négocié des « accords tacites » avec leurs familles pour vivre leur homosexualité de façon cachée. Résultat, elles ont épousé un homme tout en continuant leur amour lesbien dans l’intimité.

Première marche des fiertés en 2019 à Saint-Denis

La gentrification de la petite couronne changera-t-elle la donne ? Elle s’accompagne en tout cas dans certains quartiers, d’une visibilité accrue des homosexuels dans l’espace public. La première marche des fiertés s’est ailleurs déroulée en 2019 à Saint-Denis.

De lieux de rencontres « gay » existent aussi dans les quartiers populaires de Seine-Saint-Denis. « Il y a de la drague homosexuelle. Des jeunes se voient dans des espaces publics inaccessibles aux curieux, comme les caves d’immeubles ou des coins dans des parcs », détaille Axel Ravier.

Article complet du journal Le Parisien à lire en cliquant : ici

Source article : journal Le Parisien / Source photos : Wikipédia 

Rédigé par Aulnaylibre !

Publié dans #93 Infos

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