La Seine-Saint-Denis, nouvelle destination touristique ?
Publié le 22 Août 2013
« Sortez vos appareils photos, nous passons de l’autre côté du périphérique »… Voilà ce que pourraient un jour entendre les visiteurs de passage en arrivant dans la banlieue parisienne. La scène tient encore de la fiction, mais de petits groupes de touristes en files indiennes ont déjà fait leur apparition, ici et là, dans les cités du « 9-3 ». Sur « Lonely Planet », on peut désormais trouver des promenades en banlieue.
La Seine Saint Denis possède déjà ses attractions « classiques » : la Basilique Saint Denis, le musée de l’air et de l’espace du Bourget, les Puces de Saint Ouen et, plus récemment, le Stade de France. Chaque année, ces sites attirent des centaines de milliers de visiteurs, voire des millions pour les célèbres puces. Mais la banlieue autrefois rouge veut innover et mettre en valeur son territoire à travers un tourisme « alternatif ».
Il y a quinze ans déjà, un Comité départemental du tourisme (CDT) a été créé dans ce sens : valoriser la richesse culturelle et historique des quartiers populaires. « L’idée est de prendre à contrepied l’image négative de la banlieue en montrant simplement les différents quartiers, leurs histoires et leurs habitants », explique le directeur du CDT, Daniel Orantin. A l’office du tourisme, les visiteurs peuvent choisir parmi 500 sorties, par exemple une croisière sur le canal de l'Ourcq à Bobigny ou une balade le long du Parcours des impressionnistes dans le parc de L’Ile-Saint-Denis. Parmi les offres, certaines sont plus inattendues encore : visite des ateliers de la RATP, balade urbaine parmi les logements sociaux de la cité-jardin de Stains ou encore découverte de la salle des mariages de la mairie de Bobigny présentant, au milieu des fauteuils en forme de cœur, une Marianne africaine.
J’IRAI DORMIR CHEZ VOUS, DANS LES CITÉS
Les touristes peuvent même dormir dans les quartiers du si redouté « 9 – 3 ». Depuis deux ans, l’association Accueil banlieues propose une formule de chambres d’hôtes. Pour une somme modique, les habitants ouvrent leurs portes, offrent une chambre individuelle et un petit déjeuner et, surtout, font découvrir les banlieues de l’intérieur. Si l’offre de logement est économique, elle ne doit pas représenter seulement une solution avantageuse. Les visiteurs s’engagent à passer une demi-journée au moins à découvrir le quartier avec les hébergants.
« Nous voulons montrer que la banlieue ce n’est pas une zone de non-droit. La réalité est plus subtile et contrastée », explique la présidente de l’association Marie-Pierre Agnes. Non, pas de programmes cage d’escalier squattée ou frisson nocturne côté HLM, mais une excursion chaleureuse chez des habitants dans leurs quartiers. « Les visiteurs sont généralement surpris par les espaces verts, raconte Marie-Pierre Agnès, ils s’attendent à voir des tours de bêtons. » Marie Fonteneau, vendéenne, a apprécié cette découverte. Depuis 2010, elle a renouvelé ces séjours en banlieue où elle dit « se ressourcer » : « Plus je connais l’ambiance et plus je l’apprécie, explique la provinciale. Le dépaysement est réel, c’est un autre ailleurs ».
Si le projet Pantin Plage n’est pas encore d’actualité, les touristes peuvent se laisser tenter par des expéditions plus locales en suivant par exemple le slameur Hocine Ben dans une visite de la Maladrerie, son quartier natal à Aubervilliers. L’auteur et comédien sait naviguer parmi les ateliers d’artiste et ponctue la virée de ses slams racontant son attachement à la cité. « L’idée, ce n’est pas de changer l’image du quartier mais le regard des gens, fait remarquer le Hocine Ben. Je voudrais montrer qu’on peut se balader dans un quartier populaire comme on se promène sur un site touristique de Paris ».
UN SUCCÈS MODESTE CONTRE UNE RÉPUTATION BÉTON
Le succès en matière de tourisme alternatif se chiffre en centaines de visiteurs sur l’année. « C’est modeste, mais suffisant pour espérer un développement et faire un pied de nez à tous ceux qui nous prédisait que cette région n’était pas touristique », fait remarquer Daniel Orantin. Le public est principalement francilien, « à environ 90% ». La proportion des visiteurs étrangers est très faible mais le département espère attirer davantage ce public grâce au partenariat avec Parisien d’un jour. Depuis 2006, cette association propose des balades gratuites dans Paris intra-muros organisée par des habitants bénévoles. Dorénavant, l’association suggère aux touristes étrangers d’aller faire un tour du côté de Pantin, Montreuil ou Bobigny.
Ces deux tourismes pourraient se complèter dans le cadre d’un « Grand Paris » qui représente pour Daniel Orantin « la capitale telle que la voit les touristes, aussi étendue que l’est la carte du métro ». Ce dernier défend le rôle complémentaire que peut jouer les banlieues : « Les touristes ne veulent pas seulement aller voir les sites incontournables de Paris, ils veulent également découvrir comment vit un parisien et sur ce terrain, la banlieue peut jouer un rôle d’avant-garde. »
Après un séjour, les visiteurs n’envisagent pas les banlieues de la même manière. « Auparavant je ne comprenais pas l’idée d’aller s’entasser dans des banlieues où le chômage est pire qu’ailleurs, relate ainsi Marie Fonteneau. Aujourd’hui je comprends mieux, à la fois l’attachement des habitants pour leur quartier, et les raisons qu’ils peuvent avoir de se révolter ».
« Le tourisme apporte sa pierre pour combattre la mauvaise réputation du quartier fait valoir Daniel Orantin. Aujourd’hui la ville de Pantin envisage par exemple de mettre en place un port de plaisance. Cela signe une véritable mutation dans la perception des quartiers populaires que le tourisme alternatif a largement soutenue. » La Seine Saint Denis se verrait bien à l’avenir troquer une notoriété faite de voitures brulées et d’émeutes urbaines contre celle d’une destination touristique parmi d’autres.
Source : http://www.marianne.net