Si on lui avait dit il y a une dizaine d’années qu’il deviendrait une star du ballon rond dans le petit royaume d’Asie du Sud-Est, il n’y aurait pas cru ! Thierry Bin a grandi à Aulnay-sous-Bois, dans une famille de réfugiés cambodgiens ayant fui le régime Khmer Rouge, qui de 1975 à 1979, fit près de deux millions de morts.
C’est à l’ombre de la cité des 3 000 que l’enfant sage chausse ses premiers crampons, une fois ses devoirs finis, et après avoir aidé sa mère couturière à enfiler le fil dans les aiguilles. Il entre au CSL Aulnay à 12 ans, puis part se former au centre du RC Strasbourg. Après quelques années dans des clubs de CFA 2, du FC Saint-Jean au FC Aubervilliers, Thierry se demande quelle direction suivre. « J’avais commencé un BEP vente, mais je n’étais pas fait pour les études », relate le jeune homme de 24 ans, casquette, baskets et petits diamants à l’oreille. « A ce moment-là, j’ai décidé de me consacrer entièrement au foot, et s’il le fallait, de m’expatrier. » Thierry rejoint l’équipe nationale du Cambodge de France, une équipe amateur basée à Aubervilliers, où réside une importante communauté cambodgienne. A sa tête, Pen Path, une ancienne légende du football au Cambodge, s’emploie à créer des ponts avec leur pays d’origine.
En 2012, l’équipe s’envole pour une série de rencontres amicales au Cambodge, le second voyage pour Thierry après une première découverte en famille. Repéré par le Phnom Penh Crown, un des plus gros clubs de la capitale, il se voit proposer un contrat d’un an.
Numéro 93, en hommage à son département natal
Une belle opportunité, mais un retour aux racines qui inquiète sa mère, traumatisée par ses souvenirs de la guerre. Pourtant, elle reconnaît que le Cambodge s’est modernisé et décide de croire en la bonne étoile de son fils. A 21 ans, Thierry signe, prend un aller simple pour le pays du sourire et débarque dans les rues grouillantes de Phnom Penh, écrasée sous ses 40 °C. Le jeune homme découvre les conditions de vie spartiates des joueurs cambodgiens.
« A mon arrivée, j’ai dû dormir sur des nattes, à dix dans la même chambre, laver mes vêtements à la main et manger du riz tous les jours ! », s’amuse aujourd’hui le numéro 93, choisi en hommage à son département natal. Thierry est alors épaulé par deux autres recrues franco-khmères avec qui il recrée une « french touch » en dénichant par exemple une adresse de kebab en ville. Il apprend la langue khmère et les spécificités du jeu local. Et même si le manque de sens tactique de ses coéquipiers lui fait parfois « péter un câble », Thierry s’accroche, progresse, et devient rapidement un leadeur sur le terrain.
« Ici, je fais ce que j’aime le plus au monde : je peux vivre ma passion »
Un tremplin qui lui ouvre les portes de l’équipe nationale l’année dernière. 2015 est l’année de sa consécration : Thierry marque le but décisif contre Macau, permettant au Cambodge d’être sélectionné pour les matchs éliminatoires de la Coupe du monde 2018 ! Une première historique pour une nation rompue aux défaites à deux chiffres. L’engouement pour le football explose, les stades débordent, et le binational devient un modèle pour la jeunesse.
Le beau gosse se fait aussi une place sous les projecteurs : modèle dans des pubs pour sous-vêtements à la David Beckham, égérie d’une marque d’eau, de cidre et d’une campagne contre le sida… Le banlieusard est même interpellé dans la rue pour poser sur des selfies ! « Ici, je fais ce que j’aime le plus au monde : je peux vivre ma passion, sourit Thierry. J’ai une chance unique de jouer à un niveau international. J’encourage tous les joueurs qui galèrent en France à venir découvrir l’Asie. C’est une période très excitante, car ici, tout est à construire. »
Source : Le Parisien