Rencontre avec les nouveaux pauvres à Aulnay-sous-Bois

Publié le 24 Octobre 2012

À Aulnay-sous-Bois, les associations d’aide font toutes le même constat : la crise atteint de nouvelles classes sociales. Du Secours catholique aux Restos du cœur, les centres d’accueil ne désemplissent pas.

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C’est l’un des symboles de la rénovation urbaine des quartiers défavorisés engagée par l’État en 2004. Au nord de la ville d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), la démolition spectaculaire des barres d’immeubles vétustes a laissé place, au fil des années, à des immeubles collectifs de quatre étages ainsi qu’à des maisons individuelles. Partout des grues et des bulldozers s’activent pour réhabiliter ces quartiers et réaménager la voirie. Le ravalement des façades semble avoir suffi à rendre la pauvreté imperceptible. Pourtant, le taux de chômage est toujours deux fois plus important qu’ailleurs (il atteint les 40 % pour les 18-25 ans) et la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n’a cessé d’augmenter.

Des familles se pressent au centre d’accueil du Secours catholique, situé au coeur de la cité de l’Europe, l’un des quartiers populaires d’Aulnay-sous-Bois, ville récemment frappée par l’annonce de la fermeture de l’usine PSA. André, bénévole septuagénaire, témoigne :

“Au début, avec la restructuration du quartier, les populations les plus pauvres ont déménagé et nous avions moins de monde. Depuis deux ans, malgré ce basculement sociologique, les gens reviennent se restaurer chez nous. Toutes les classes sociales finissent par être touchées par la crise.”

Cette recrudescence des demandeurs d’aide est signalée par toutes les associations. Dans son rapport d’activité annuel, publié cette semaine, Médecins du monde indique que ses consultations ont augmenté de 22 % entre 2008 et 2011 (plus de 98 % des patients accueillis vivaient sous le seuil de pauvreté).

Dans une petite salle de la permanence du Secours catholique, assis sur des chaises d’école, un couple attend d’être reçu par une bénévole. La femme, Kakharoubya, est française et le mari, Lakhdar, algérien. Après avoir vu une assistante sociale, ils viennent déposer une demande d’accès à “l’épicerie sociale” du Secours catholique.

“Une fois que vous êtes expulsé, c’est souvent la spirale infernale”

Pour les personnes très en difficulté, l’association distribue des colis d’urgence contenant des produits de première nécessité (lait, café, riz, pâtes, sardines, etc.). Pour ceux qui disposent d’une situation un peu moins précaire, le Secours catholique propose un accès à une banque alimentaire où les bénéficiaires ne paient que 30 % du prix des produits. C’est le cas de ce couple, dont le mari arrivé en France en 2012 ne trouvait plus de travail en tant que dessinateur-projeteur en Algérie. Malheureusement, le marché de l’emploi semble tout aussi saturé ici.

“J’ai dix ans d’expérience et un bac + 3 en Algérie mais c’est comme si tout cela ne valait rien ici”, explique Lakhdar devant la bénévole. “Essayez-de chercher par vous-même du travail. Pôle emploi ne suffit plus”, lui suggère-t-elle.

D’après son dossier, le couple semble avoir de bonnes chances d’être accepté. Pour tout revenu, Lakhdar et Kakharoubya disposent de 528 euros de Revenu de solidarité active (RSA) et de 473 euros d’Aide personnalisée au logement (APL). Mais 800 euros partent chaque mois dans le loyer d’un petit F2 situé dans une cité environnante. Conséquence de la rénovation urbaine du quartier, les prix des loyers pratiqués approchent désormais ceux de Paris. Avec deux enfants à charge, le couple peine à joindre les deux bouts. “On a moins de 200 euros pour vivre par mois, ce n’est pas possible”, finit par lâcher Lakhdar, les larmes aux yeux. “Surtout, évitez les dettes de loyer. Une fois que vous êtes expulsé, c’est souvent la spirale infernale”, lui conseille la bénévole avant de les laisser repartir.

Dans un bureau situé dans une pièce adjacente, Philippe Solignac, responsable du Secours Catholique à Aulnay-sous-Bois, reçoit des “collègues” des Restos du cœur. Dans leurs échanges, les bénévoles aboutissent à la même description sociologique des demandeurs d’aides.

“Nous avons de plus en plus de jeunes et de familles monoparentales qui viennent chercher un petit complément auprès de nous pour garder la tête hors de l’eau. Lorsqu’un couple se sépare, on passe d’une situation stable à deux situations fragiles : un homme seul et une mère seule avec des enfants”, explique Philippe Solignac.

Depuis vingt ans, le profil des pauvres a beaucoup évolué en France. Aujourd’hui, selon l’Observatoire des inégalités, la “pauvreté touche en premier lieu les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, dont plus d’un sur dix sont pauvres, contre 3,7 % des plus de 60 ans.”

À la fin de leur tour de table, les bénévoles des Restos du coeur et du Secours catholique finissent par conclure que la crise économique a généré une explosion du nombre de demandeurs d’aides. Comme un symbole, Carrefour a dans le même temps arrêté d’aider le Secours catholique d’Aulnay-sous-Bois. “Nous avions un contrat avec Carrefour Paris-Nord. Chaque semaine, nous allions chercher les produits frais qu’ils n’avaient pas réussi à écouler. Il y a maintenant deux ans, on nous a signifié que c’était terminé, sans autres explications. En se baladant dans les rayons, on s’est rendu compte qu’ils écoulaient désormais leurs produits jusqu’à leur date limite”, déplore Philippe Solignac.

Il attend les poubelles pour se nourrir des sandwichs invendus

Un peu plus tard dans l’après-midi, au sein de Partage Sourire, un autre centre d’accueil du Secours catholique d’Aulnay-Sous-Bois qui distribue des repas chauds, un demandeur d’aide en vient également à parler de Carrefour. Assis à une table, Ho, français d’origine vietnamienne, 45 ans, finit une part de tarte en buvant un verre de jus d’orange. Quand on le questionne sur sa situation, cet ancien enfant de la DDASS, qui vit à la rue depuis plus de dix ans, n’a pas de mots assez durs contre les grandes surfaces : “Je ne comprends pas pourquoi ils jettent chaque jour des kilos de viande”, martèle-t-il, en pointant son doigt en l’air.

Pour survivre, Ho nous confie qu’il se rend chaque nuit, vers 4 ou 5 heures du matin, dans des chaînes de restauration rapide. Il attend patiemment que l’agent d’entretien sorte les poubelles pour se nourrir des sandwichs invendus de la journée. Avant, il allait récupérer des restes dans la zone de livraison de Carrefour. Un soir, il s’est rendu compte que ce qu’il appelle “la casse” avait été déplacé dans une immense benne surveillée par un gardien. “Pourquoi vous jetez ces produits au lieu de nous les laisser ?”, avait-il alors demandé. “Si on continue à donner ça, les gens n’achèteront plus rien, c’est une question de commerce”, lui aurait répondu le gardien.

Source : David Doucet http://www.lesinrocks.com Photo : Guillaume Binet/M.Y.O.P

Rédigé par Aulnaylibre !

Publié dans #C'est dans le Journal

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