Aulnay-sous-Bois, racontée à trente ans d'intervalle
Publié le 24 Janvier 2012
En trente ans, la banlieue a changé. Mais comment ? Entre les études sociologiques arides, les souvenirs personnels fantasmés et le bruit médiatique réducteur, la réponse n'est pas évidente... L'initiative de l'association Périphéries et du cinéma Jacques-Prévert d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) qui programment samedi 28 janvier deux documentaires, réalisés l'un en 1979 et le second en 2011, sur la jeunesse de la ville, invite à y réfléchir en se plongeant dans chacune de ces deux périodes, à en humer l'air, l'état des relations entre les gens, de leur rapport au travail, à l'avenir, à la République...
Tourné en noir et blanc, en 16 mm, A force on s'habitue, de Jean-Pierre Gallèpe, est un film générationnel d'une mélancolie à vous fendre le coeur. La ville, son architecture, son urbanisme, son état de plus ou moins grand délabrement, selon les quartiers, se profile à travers de longs panoramiques et des plans larges. Garçons et filles sont filmés dans les lieux qu'ils fréquentent et Jean-Pierre Gallèpe les fait exister avec une force saisissante. De très gros plans de visages notamment, très empathiques, donnent à leur parole une puissance prophétique.
Une grande tristesse se dégage de ces personnages, enfants des années 1970 profondément attachants, plus tentés par l'anarchie que par la révolution. Pleins d'envies et déjà vaincus, ils apparaissent écartelés entre le refus de la vie ouvrière, du piège que constitue la vie à crédit qui a engendré chez leurs parents une apathie terrifiante, et la nécessité de travailler. On parle de tout dans le film : de sexualité, de travail, de musique et de cinéma, de désir, d'infrastructures à l'abandon, du désintérêt du pouvoir politique pour la banlieue qui, par capillarité, se transmet à toute une population... D'argent aussi. Il n'y a que cela qui compte aujourd'hui, constatent plusieurs d'entre eux, désabusés.
L'appartenance ethnique en revanche, la religion : hors sujet. Pas de différence entre Français de souche et Français issus de l'immigration - à part le racisme, alors très fort dans les cités à l'encontre des Maghrébins. On voit rétrospectivement ce que cela a produit. On comprend surtout que ce que le film saisit, sans doute malgré lui, c'est ce moment où le creuset républicain, encore d'un seul bloc, se fissurait irrémédiablement.
Le second film, La Mort de Danton, réalisé par Alice Diop, est le portrait d'un garçon d'Aulnay qui, en cachette de ses proches, a suivi pendant trois ans une formation de comédien au cours Simon. La ville est moins centrale ici que le choc culturel entre ce jeune homme d'origine africaine et banlieusarde et le milieu culturel parisien dans lequel il tente de faire son trou.
La mise en regard de ce film avec le précédent nourrira à n'en pas douter des débats passionnants tout au long de la journée, auxquels participeront, entre autres, les réalisateurs et certains des personnages du film.
Cinéma Jacques-Prévert. 134, avenue Anatole-France, Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). A 14 heures, "A force on s'habitue", 1 h 26. A 17 heures, "La Mort de Danton", 1 h 04. Un film 3,70 € ; deux films, 6 euros.
Source : Isabelle Regnier, Le Monde 24 janvier 2012