Le Billet de Veritis : Trois figures de la lutte pour la liberté….

Publié le 28 Décembre 2010

Aung San Suu Kyi, Liu Xiaobo, Mikhaïl Khodorkoski

 

 

D’ici peu, l’année 2010 va s’achever. Traditionnellement les journaux, les magazines ou leurs lecteurs élisent « la femme ou l’homme de l’année ». Cet exercice a quelque chose d’un peu puéril, car pourquoi vouloir à tout prix classer les uns ou les autres, distribuer un palmarès, distinguer tel ou tel ?

 

Alors comment choisir ?

 

Les soldats français morts en Afghanistan pour un combat sans doute légitime mais dont l’issue apparaît  de plus en plus incertaine  dans un pays où le poids de la tradition et la logique  interne semblent dérouter à tout jamais les esprits occidentaux que nous sommes ?

 

Ces sept moines de Thibérine sauvagement assassinés depuis plusieurs années déjà mais dont le souvenir a ressurgi par la grâce d’un film de X. Beauvois qui a ému plus de trois millions de téléspectateurs ?

 

Ces chercheurs qui luttent d’arrache-pied contre le sida, le cancer, les maladies génétiques ou d’autres encore avec l’espoir de reculer l’horizon de la souffrance et de la mort ?

 

Ces bénévoles qui s’engagent auprès d’associations pour distraire des jeunes enfants atteints de maladies incurables, tenir compagnie à des personnes âgées ou apprendre à lire et à écrire à des personnes en difficulté ?

 

Assurément tous ceux-là et bien d’autres encore méritent une pensée particulière, non seulement à l’occasion de cette fin d’année, mais tout au long de ces années où ils ne ménagent pas leur peines pour faire reculer les frontières de l’obscurantisme, de la maladie, de la souffrance, de la solitude, de l’ignorance ou de la mort.

 

 

Mais, je voudrais ici rendre hommage et avoir une pensée toute particulière pour trois personnes différentes par leur pays d’origine et leur histoire personnelle mais réunies à travers un combat commun, celui de la liberté d’expression, qu’ils et elle ont payé ou payent encore durement par des années de prison ou de privation de liberté.

 

Aung San Suu Kyi

 

Née en 1945, à Rangoon (Birmanie), elle est la fille du général Aung San leader de la libération birmane qui a négocié l’indépendance de son pays en 1947 mais fut assassiné par ses rivaux la même année.

 

Le 18 septembre 1988, un coup d’état porte au pouvoir une junte militaire. Le 27 septembre 1988, elle participe à la création de la Ligue Nationale pour la Démocratie dont elle devient la première secrétaire générale. Elle est arrêtée le 20 juillet 1989, la junte lui proposant la liberté si elle quitte le pays, ce qu’elle refuse. Plus tard, elle sera mise en liberté surveillée jusqu’en juillet 1995.

 

En 1990, sous la pression populaire, la junte organise des élections qu’elle perd au profit de la Ligue Nationale pour la démocratie dirigée par Aung San Suu Kyi. Alors, la junte annule ces élections, ce qui suscitera une vive riposte internationale. Elle recevra le Prix Nobel de la Paix en 1991. En septembre 2000, elle est à nouveau mise en maison d’arrêt jusqu’au 6 mai 2002, puis est à nouveau emprisonnée, mise en maison d’arrêt en septembre 2003 et assignée à résidence jusqu’en mai 2009.

 

A quelques jours de sa libération, elle est, sous des prétextes fallacieux, mise en détention le 7 mai 2009, puis condamnée le 10 août 2009 à 18 mois de détention, ce qui la prive de tout moyen de participer à l’élection générale de 2010. Le 13 novembre 2010 cesse sa résidence surveillée après plus de 15 ans de privation de liberté sous une forme ou sous une autre.

 

L’un de ses discours les plus  connus, Freedom from fear, traduit en français, sous le titre « Se libérer de la peur » (Editions des Femmes, 1991), commence ainsi :

 

« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime… »

« Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend la marque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. (…) Mais dans un système qui dénie l’existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l’ordre des choses. Mais aucune machinerie d’Etat, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de ressurgir encore et toujours, car la peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé ».

 

Sources : Wikipedia ; La République des Lettres (A.M. Lévy)

 

Un tel courage, une telle force suscitent bien évidemment l’admiration pour cette femme belle et frêle mais surtout déterminée.

 

Liu Xiaobo

 

Né en 1955 de parents intellectuels et communistes, il fait partie de la première génération qui accède à l’université en 1977 à l’issue de la « révolution culturelle ».Il obtient un doctorat ès lettres à l’université de Pékin en 1988 puis devient professeur chercheur invité en Norvège et aux Etats-Unis.  En 1989, il revient en Chine et participe aux manifestations de la place Tien’Anmen  à Pékin à l’issue desquelles il sera condamné à dix-huit mois de prison. Une fois libéré, il ne sera plus autorisé à publier et à prendre la parole en public.

 

Au milieu des années 1990, il commence à travailler pour le magazine Chine démocratique, mais en 1996, il est condamné à trois ans de camps de travaux forcés pour avoir critiqué le Parti communiste chinois.

 

Le 22 mars 2008, lors des troubles au Tibet, Liu Xiaobo participe à un appel pour demander au gouvernement chinois d’infléchir sa politique au Tibet et pour soutenir l’appel à la paix du Dalaï-Lama. La même année, il écrit l’ébauche de la charte 08, signée par plus de 10 000 personnes dont 300 personnalités éminentes. Cette charte a été conçue et écrite en s’inspirant de la charte 77 de Tchécoslovaquie, où au mois de janvier 1977, plus de deux cents intellectuels tchèques et slovaques ont formé une association de personnes unies par la volonté d’agir individuellement et collectivement pour le respect de l’humain et des droits civils.

 

Tard dans la soirée du 8 décembre 2008, Liu Xiaobo a été enlevé chez lui par la police. Il a été formellement arrêté le 23 juin 2009 avec comme motif : « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat », puis condamné le 25 décembre 2009 à onze ans de prison pour subversion, ce qui provoque de nombreuses réactions internationales : ONU, Union Européenne, etc.

 

Le 8 octobre 2010, Liu Xiaobo a reçu le Prix Nobel de la Paix « pour ses efforts durables et non violents en faveur des droits de l’homme en Chine ». Près de 600 intellectuels chinois – universitaires, avocats et militants des droits de l’homme – ont signé une lettre ouverte demandant une démocratisation en Chine et la libération de Liu Xiaobo et des prisonniers de conscience.

 

Source : Wikipédia.

 

Autre type de dirigeants, mais méthodes similaires. Autre parcours, mais détermination tout aussi inébranlable. Autre Prix Nobel de la Paix mais réactions internationales toujours aussi vives.

 

Mikaïl Khodorkovski

 

Ce personnage n’a sûrement pas la « pureté » des deux premiers, mais il a, me semble-t-il, une personnalité tellement hors du commun, qu’elle mérite assurément respect et  considération. Comme ces deux prédécesseurs, il pouvait facilement fuir son pays mais a préféré, au risque de sa liberté, affronter le pouvoir en place.

 

Né en 1963, de parents ingénieurs chimistes dans une usine de Moscou, il fit de brillantes études qui lui ont permis de rejoindre l’institut d’économie Plekhanov, tout en menant en parallèle une activité militante intense au sein des Jeunesses communistes (Komsomol). Il était en outre membre du Parti communiste.

 

En 1995, il devient PDG et actionnaire important du groupe pétrolier Ioukos à la suite de la privatisation de cette compagnie réalisée sous B. Eltsine. Toutefois, comme beaucoup d’opérations réalisées à cette époque, on ne peut pas dire que cela s’est fait dans des conditions de transparence parfaite. Cependant, dès cette époque, M. Khodorkovski, développe sa compagnie, au point d’en faire un géant de son secteur puisque la compagnie sera estimée à 27 milliards de dollars en 2004.

 

Mais son tort est de vouloir se lancer en politique, en pensant qu’il faut se battre contre la corruption au sommet de l’Etat, ce qui déplait souverainement à W. Poutine, qui dés lors fera tout pour l’abattre. Ainsi l’accuse-t-on de « vol par escroquerie à grande échelle » et d’ « évasion fiscale », accusations qu’il conteste. Mais il est arrêté en octobre 2003, puis condamné en 2005 à huit ans de prison, à Tchita, à 7000 kms de Moscou, près de la frontière chinoise. Libérable en 2011, il redevient un adversaire gênant pour W. Poutine, dans l’optique des prochaines élections de 2012.

 

C’est la raison pour laquelle un nouveau procès s’ouvre à Moscou en mars 2009 pour « vol de pétrole ». Celui-ci tourne à la mascarade ce qui fait dire à Guido Westerwelle, chef de la diplomatie allemande : « La façon dont ce procès a été mené est particulièrement préoccupante et constitue un pas en arrière sur la route de la modernisation du pays » ou encore à Amnesty International : « Il y a des motifs politiques dans cette affaire, et une ingérence qui a rendu difficile une décision judiciaire équitable ».

 

Cette affaire est revenue sur les devants de l’actualité puisque le jugement sera connu ces prochains jours, le procureur ayant requis en octobre 2010, quatorze ans à compter de sa première arrestation en 2003, ce qui suscite un certain émoi dans les pays occidentaux.

 

Sources : Wikipédia, Le Monde.fr, Libération du 28/12/2010.

 

Birmanie, Chine, Russie. Trois pays différents. Trois dénégations de la liberté la plus élémentaire. Trois destins hors du commun.

 

Fort heureusement, notre pays échappe à ce type d’excès.

 

Probablement parce que chez nous, en raison de notre histoire et de nos traditions, la démocratie, même imparfaite, a précédé les développements de l’économie de marché, pour devenir un acquis intangible, socle indispensable de notre vivre ensemble.

 

Pour autant, notre pays n’est pas à l’abri, ici ou là, de pressions « amicales », de « petits arrangements » entre amis, de « violences » plus ou moins feutrées, de « luttes d’influences » plus ou moins féroces.  Ainsi va, dit-on, la vie en société, diront les plus réalistes.

 

Mais  au nom de ce soit disant  « réalisme », ne finit-on pas par oublier l’essentiel ?

 

Et si l’on faisait de cet « essentiel » le thème des années futures, en commençant bien évidemment par 2011 ?

 

 

Veritis.

 

Rédigé par Veritis

Publié dans #Le Billet de Veritis

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